Analyse d’Akagi Shigeru (赤木しげる)

Arrêt sur un personnage qui mérite un article et qui réclame toute mon attention : Akagi Shigeru, du manga éponyme Akagi.

À vrai dire, c’est la première fois que je ressens l’ultime besoin de m’arrêter sur un personnage (plus précisément sur un personnage issu du support manga, qui est bien plus souvent un simple support de divertissement qu’une oeuvre à part entière). Cette entreprise d’analyse « psychologique » d’un personnage fictif, ne nous le cachons pas, est vaine. Cet article ne sera alors que conjectures et interprétations du personnage, dans ses paroles, sa vision de la vie et ses manières de faire car même si l’analyse psychologique est impossible, il s’en dégage des clés d’interprétation non négligeables. (Cet article fera donc une petite entorse aux sujets que j’ai l’habitude de traiter.) Comment ne pas être fasciné par Akagi ? Ce jeune homme que l’on accompagne de ses treize ans jusqu’à l’âge adulte et finalement jusqu’à la vieillesse dans Ten.

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Don

Est-ce prostitution

De l’âme ou du coeur

Ou simple don ?

Simple

Abandon.

 

Se donner à tous, se confondre dans les ombres chaudes et mouvantes. Et s’évanouir, devant la multitude des destins qui s’offrent à nous. Quel chemin reste-t-il pour l’âme donnée ?

Quel chemin pour l’enfant ?

L’humanité ou son humanité.

 

Déchirement. Qui aimer. Pourquoi. Les aimer tous ? En aimer aucun ? Les voiles ne se déchirent plus un à un, j’ai touché la fin du jour. Plus de voix face à la multitude, seul un mutisme qui interroge. Je voudrais les aimer tous. Les aider tous. Tendre la main pour qu’il m’agrippent. Me prennent. Me noient.

Emportée sans retour.

 

Choisir. Pleurer devant le monde qu’on ne peut embrasser. Tous. Tous. Trouver la paix, tous. Les aimer. Tous.

 

Mais

Aimer chaque être

C’est n’aimer personne.

Gleeden : Site de rencontres extra-conjugales

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Un petit billet coup de gueule. Récemment, dans le métro, sur les bus, je vois des publicités concernant un certain site de rencontre. Mais un site assez particulier : Il propose de faire des rencontres extra-conjugales. J’ai été assez marquée, il faut le dire, par cette campagne de publicité. Pas pour ce qu’elle représente en elle-même -après tout chacun fait ce qu’il veut- mais pour ce qu’elle propose ouvertement, aux yeux de tous, en pleine rue. Pourquoi faire une promotion monstre pour un site de rencontres extra-conjugales ? Si Madame X veut tromper son mari celle-ci n’a que deux clics à faire sur internet et la voilà vernie. Seulement, ici Gleeden est clairement dans une ostentation pseudo-féministe assez douteuse.

« Le premier site de rencontres extra-conjugales pensé par des femmes »

Le voilà, le fameux slogan présent sur toutes les affiches de publicité. Excusez-moi ? Pensé « par des femmes » ? Il est bon de préciser que le site a été fondé par deux hommes : Ravy et Teddy Truchot. Ce slogan est donc tout à fait risible et véhicule une idée fausse et aguicheuse pour la gent féminine qui se laisse prendre au piège par cette phrase sentant bon l’indépendance et la liberté. Ce site a donc plus été pensé pour des femmes que « par des femmes », il s’agit ici d’une fausse légitimation.

Teddy Truchot déclare dans le magazine l’Express :

« On a beaucoup parlé de nous, notamment à la télévision. Mettre le doigt sur un tabou, en l’occurrence les relations extra-conjugales, ça choque mais ça fait du bruit. »

Seulement il y a tabou et tabou. S’agit-il encore de définir le tabou, qu’est-ce qu’un tabou ? Quelque chose dont on n’ose pas parler ? Une pratique qui déroge à l’éthique ? À la morale d’une époque donnée ? Il y a de ça. Cependant les aventures extra-conjugales forment un sujet grave, tout simplement par l’implication d’une tiers personne, d’un mari ou d’une femme qui se fait allègrement cocufier par son/sa partenaire sans que celui ou celle-ci ne tienne compte des sentiments de sa moitié. Bien sûr chacun fait ce qu’il veut comme il l’entend mais Gleeden répand sa campagne publicitaire dans les rues de manière exagérée et c’est ce qui me gêne le plus. Une ostentation pareille des relations extra-conjugales entraîne une forte incitation, naturellement quelqu’un aura plus de chances d’être tenté en voyant ces affiches omniprésentes dans les rues que s’il avait fait des recherches sur le net par lui-même. Nous avons à faire à une réelle banalisation de l’infidélité, enrobée par une belle idée (À savoir : La femme doit se libérer des moeurs patriarcaux) mais faisant totalement l’impasse sur la dimension morale de l’affaire, car ce genre d’affiche renvoie premièrement une piètre image du couple à bon nombre de personnes. Ce n’est pas vraiment le site et son concept que je fustige ici, je le répète encore une fois, mais leur campagne publicitaire qui n’a pas lieu d’être si largement répandue.

La part de l’autre par Eric-Emmanuel Schmitt

La part de l’autre est un livre écrit par Eric-Emmanuel Schmitt que j’ai chiné au marché aux puces un été. Je passais tranquillement parmi les brocanteurs à la recherche de livres bon-marchés quand mon oeil a été attiré par un livre dont la couverture arborait une photo d’Hitler. Je m’arrête donc et, ô surprise, un nom familier : Schmitt. Ayant travaillé sur Dom Juan en classe de première j’avais naturellement eu à lire la fameuse réécriture La nuit de Valognes que j’avais fortement apprécié et dont j’ai vu une représentation en avant-première (c’est dire mon amour pour cette réécriture). C’est donc sans hésiter que j’ai rapporté La part de l’autre chez moi, le sourire aux lèvres. Schmitt est un écrivain lyonnais qui affectionne beaucoup les références psychanalytiques et qui n’hésite pas à inclure Freud dans ses écrits, on ressent donc une forte influence de la pensée freudienne dans ses ouvrages et La part de l’autre ne fait pas exception à la règle.

Ce roman publié en 2001 est une biographie romancée de la vie d’Adolphe Hitler et également une uchronie, c’est un roman donc polyphonique s’axant autour de deux voix : Celle du vrai Adolphe Hitler ainsi que celle du fictif, créé par Schmitt. Un changement de voix s’effectue un passage sur deux et le lecteur se retrouve balloté entre deux univers : l’un réel, l’autre en puissance. Le roman décide de débuter sur un évènement qui est censé changer toute la vie du jeune Hitler : Son refus à l’école des Beaux-Arts de Vienne. La biographie de l’Hitler dit « réel » débute donc sur son recalage tandis que dans son univers parallèle Schmitt décide de le faire réussir. À partir de ce point l’auteur décide de changer la vie d’Hitler et par là même la destinée de l’humanité toute entière. Hitler a toujours eu un rapport difficile avec les femmes et bien entendu Schmitt décide de jouer sur ce point en introduisant Freud dans son uchronie qui soigne ainsi le complexe infantile d’Hitler qui lui faisait fuir la gente féminine, faisant alors naître un nouvel homme à l’opposé de l’Hitler « réel ». Mais on retrouve également de la psychanalyse dans la biographie du véritable dictateur car celui-ci a également reçu des soins par un psychanalyste : Le docteur Forster. Schmitt décide alors de faire partir la névrose d’Hitler de ce point. Chose intéressante car d’un passage à l’autre l’auteur peut constater que la psychanalyse peut aussi bien soigner que faire naître les névroses.

Bien sûr la vie romancée et fictive d’Hitler n’est pas certainement ce qu’il serait arrivé si celui-ci si il avait été admis à l’école des Beaux-Arts mais là n’est pas la question et la visée de ce procédé, La part de l’autre développe l’autre être qu’aurait pu être Adolphe Hitler, c’est-à-dire un homme doté de bon sens, un bon père, un mari exemplaire… En somme, un homme qui rentrerait dans les critères de toute société idéale. Hitler a été un homme détestable, cela est indéniable, et (réaction naturelle somme toute) est aujourd’hui perçu comme un monstre et comme une personne à part : « Hitler c’est Hitler. Moi je n’aurais pas pu faire ça. Hitler est inhumain. » Or c’est faux, Hitler est aussi humain que vous et moi. Ces actes ne le sont pas mais lui l’est. La fameuse part de l’autre n’est autre que cette part d’ombre que chaque individu peut renfermer et qui peut selon les évènements et le cours de la vie se développer ou non. La part de l’autre est une chose à accepter et on ne peut se défaire de cela en niant l’humanité de quelqu’un tel qu’Hitler. Car dire : « Il est inhumain ! » c’est dire : « Moi je suis humain, donc je ne peux pas faire une chose pareille. » mais ce n’est qu’une illusion. L’auteur montre alors que tous les hommes sont capables du meilleur comme du pire et que nous faisons tous partie de la même espèce : L’humanité. Nous avons tous cette part de l’autre que nous aurions pu être.

Ce livre m’a d’ailleurs fait pensé à un autre ouvrage intitulé Les Bienveillantes de Jonathan Littell, livre dont j’ai seulement entendu parler mais que je lirais avec plaisir si un jour je devais croiser sa route dans une librairie ou autre. Jonathan Littell a décidé de se mettre dans la peau d’un SS et de rédiger des mémoires fictives sur le massacre des Juifs, c’est un travail d’immersion qui demande du cran et que j’admire beaucoup. Ce livre engendre la même réflexion que La part de l’autre et ce type d’ouvrage est toujours une expérience riche et réflexive, ce sont des livres qui méritent attention. De plus, le travail effectué par Schmitt est tout à fait admirable au niveau des recherches, le livre a été relu par des historiens et n’a donc pas d’incohérences historiques, ce qui en fait un livre très plaisant et très enrichissant à lire. Hitler et les femmes est le sujet le plus largement abordé dans cet ouvrage et ce sous toutes les coutures. Tout y passe : Hitler et la jeune Mimi, Hitler et sa nièce Geli et finalement Hitler et sa tardive femme Eva Braun… Et bien sûr il y a les projets et la mégalomanie délirante du Hitler « réel », son amour pour les travaux de Speer, son architecte, pour les opéras de Wagner, pour les petits Goebbels, pour sa chienne Blondi… On ressort de cette lecture non seulement grandi mais également plus cultivé sur la vie du dictateur. L’apparition d’intellectuels, de personnes telles que Freud est aussi très plaisant à lire. La part de l’autre a une visée éthique et engendre chez le lecteur une remise en question plus que nécessaire et, à mon humble avis, bénéfique. La part de l’autre présente donc un point de vue résolument contre-déterministe, montrant que tout être est perpétuellement en devenir selon ses actions, ses expériences. Schmitt fait donc ressentir un certain existentialisme sartrien par son double récit, l’Homme se définit par ses actions : L’existence précède l’essence. La part de l’autre m’a également fait repenser à une expérience personnelle, nombre d’étudiants doivent connaître cette nouvelle intitulée Pauvre petit garçon ! de Dino Buzzati que les enseignants font généralement lire car c’est un excellent exemple de chute littéraire. J’ai dû lire cette nouvelle en classe de 5ème/4ème, l’histoire était celle d’un enfant brimé, rejeté et moqué, je peux encore me rappeler des airs émus qui ont traversé le visages de mes camarades et des protestations murmurées par les lecteurs : « Oh, oh le pauvre... » Puis la chute vient : « Au revoir Madame Hitler !« .  Personnellement mes sentiments vis-à-vis du petit garçon en question n’ont pas changés, je le plaignais toujours autant mais tout à coup, dans la classe, les protestations se sont fait entendre : « Ah mais c’était Hitler ? Ah bah, bien fait ! » Réaction totalement aberrante car cette nouvelle montre que le jeune Hitler était un enfant comme les autres, sinon moins méchant, et qu’avant d’être une personne abominable il était aussi candide que n’importe quel enfant au berceau. Le but de ces récits est de montrer qu’on ne naît pas monstre mais qu’on le devient par le biais de personnes mal-attentionnés, froides et méchantes. Chose qu’on ne répétera jamais assez.

Le journal qu’a tenu Schmitt durant la rédaction de son roman est également très enrichissant et toute sa démarche y est expliqué. Malgré les nombreuses oppositions à son projet d’humanisation d’Hitler Schmitt a rédigé La part de l’autre et cela l’a même conforté dans son projet, il y a un réel travail d’immersion de la part de l’écrivain qui en a même fini par ressentir des douleurs psychosomatiques tant il s’immergeait dans la peau du dictateur (qui a la fin de ses jours était dans un état de décrépitude total), l’auteur développe également dans son journal toutes les réflexions qu’il mène par rapport à cet autre qu’aurait pu être Hitler. Les citations de son journal sont pertinentes et je clorai cet article sur celles-ci :

« Reduire Hitler à sa scélératesse, c’est réduire un homme à l’une de ses dimensions. C’est lui faire le procès qu’il fit lui-même aux Juifs. »
La Part de l’autre, Éric-Emmanuel Schmitt, éd. Albin Michel, 2001, p. 500
« Tant qu’on ne reconnaîtra pas que le salaud et le criminel sont au fond de nous, on vivra dans un mensonge pieux. »
La Part de l’autre, Éric-Emmanuel Schmitt, éd. Albin Michel, 2001, p. 502
« À un mal, trouver une cause unique, ce n’est pas réfléchir, c’est caricaturer, réduire, tomber dans l’accusation plus que dans l’explication. »
La Part de l’autre, Eric-Emmanuel Schmitt, éd. Albin Michel, 2001, p. 502

Poll

Poll est un film allemand – oui, je sais, encore, mais ils sont si bons – passé cette année, en janvier sur Arte mais je l’ai vu tout récemment car mon père l’avait enregistré. C’est un film du réalisateur Chris Kraus, tourné en Estonie. (On lit d’ailleurs un peu partout que ce film a l’honneur d’être le plus onéreux jamais tourné là-bas) Ce film se déroule peu avant la Première Guerre Mondiale, à cette époque les principales tensions se font sentir et ce avant tout par les russes avec l’attentat de Sarajevo et les tensions avec les pays environnants…

Poll met en scène un écrivain anarchiste estonien traqué par l’armée russe, plus précisément les tsaristes. Son destin va se croiser avec celui d’une jeune fille de 14 ans, Oda, qui quitte Berlin pour venir passer quelques temps avec son père au domaine de Poll situé en Estonie. Elle s’y rend aussi pour enterrer sa mère récemment décédée et en profite pour rapporter à son père un nouveau-née siamois dans un bocal de formol. En effet son père possède un laboratoire dans le domaine, un musée inquiétant de crânes, de foetus, de cerveaux et de têtes qui servent pour ses études sur le corps humain et l’eugénisme. On décèle chez le père une certaine pathologie qui se confirme tout au long du film, lui-même n’étant pas sain d’esprit. Oda est une enfant singulière qui selon son père a des « idées masculines » : pensées sur la vanité de l’existence, intérêt pour « l’art » scientifique de son père… tout en restant dans une ignorance de la morale, plongée dans l’optique de la découverte et de la curiosité. Encore enfant, Oda ne sait ce qu’il se passe réellement : D’où viennent les corps qu’utilise son père et  que veulent dire ses propos axés sur la phrénologie ? Ce qu’il lui montre par exemple ce n’est pas un cerveau humain, c’est le cerveau d’un criminel, a supposé donc que le cerveau d’un criminel présente des qualités physiques qu’un homme sain n’a pas. Les hommes ne sont pas tous pareils et l’atteinte d’un idéal faisant concorder physique et moral est recherché par le père d’Oda. Grâce à Schnaps, le militant estonien qu’elle cache dans le grenier du laboratoire, elle va commencer à se rendre compte des insanités morales et des travaux que mène son père.

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C’est alors qu’Oda rencontre Schnaps – qui n’est d’ailleurs pas son vrai nom – alors qu’il est blessé et affamé. Elle va alors le nourrir et utiliser les enseignements de son père pour recoudre les plaies du militant. Oda décide de cacher ce survivant dans le grenier situé au dessus du laboratoire de son père. Cohabitation de deux mondes contrastés à travers une fine cloison : L’anarchiste caché chez l’aristocrate, habitant au dessus des corps de ses camarades morts usités pour une soi-disant science profitant de la guerre.
Au mépris du danger Oda cache Schnaps alors que des soldats russes sont logés dans le domaine de sa famille, c’est donc un danger quotidien que Schnaps et elle affrontent bien que Schnaps, pris d’une grande affection pour la jeune fille, projette de partir pour ne pas la mêler au scandale de la guerre.

Poll réuni les vices ainsi que les vertus de l’Homme. Les horreurs tout comme les faibles lueurs de la bonté et de l’amour dont peur faire preuve l’humanité se manifestent : Nous sommes entre la guerre et l’amour du genre humain. C’est un film rempli d’hybris : Démesure des soldats tsaristes, démesure des recherches scientifiques du père, démesure de l’anarchisme de Schnaps… Oda se retrouve ballotée dans un monde où elle n’est encore pas sûre d’elle, où s’enclenche une quête identitaire. Qui croire, qui être ?

Les plans filmiques sont admirables, visent parfois l’onirisme et la narration d’Oda qui nous entraîne dans son récit rétrospectif sonne comme une poésie de la mort. Mort poétique et omniprésente : Le film commence avec la mort et fini avec celle-ci, la mort dite latente, présente en chacun comme une graine. Film poétique qui fait donc écho àOda Schaefer, poétesse oubliée…  Le film est tiré du récit de son journal intime. Poésie également crépusculaire, le film présente de nombreuses scènes sous un ciel mourant. La nature même meurt, les animaux, le ciel, mort cosmologique, symbolique, psychologique. Et pourtant mort poétique. C’est un fabuleux contraste qu’offre le filmPoll, entre horreur et amitié.

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La bande son du film est composée par Annette Focks et est très agréable à l’écoute. C’est une OST qui se distingue vraiment et qui fait mouche dans le film. Des instruments très épurés, très candides et plein d’élan. La bande son est composé à 98% d’instruments à corde et de voix, c’est une bande son éminemment lyrique dont certaines compositions présentent des tonalités élégiaques, plaintives avec des voix qui s’élèvent sur fond d’instruments acoustiques: Guitare, viole de gambe, violoncelle, violon… Des instruments très vibrants et propre au dégagement d’un certain lyrisme. C’est une OST sans grande faute, qui est vraiment à écouter. On ne la trouve pas en entière sur YT, sauf le morceau de l’épilogue que voici :

C’est donc un film jonglant entre fiction et réalité retraçant une partie de la vie de la grand-tante du réalisateur (Oda et Chris Kraus sont en effet liés par le sang). Un film émouvant avec une grande qualité filmique, une réelle portée et beaucoup trop méconnu à mon goût. Poll est un excellent film que je recommande.

Le Tombeau de Romain Gary

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Romain Gary, dos à un miroir :

Cette photo m’a paru pertinente et parfaitement en phase avec le personne de Romain Gary, personne expressément imprégnée de duplicité.

Le Tombeau de Romain Gary est un livre écrit par Nancy Huston, écrivaine franco-canadienne assez prolifique et dont, je dois dire, je ne connaissais pas le nom. Je me suis donc attelée à la lecture de cette oeuvre qu’est Le Tombeau de Romain Gary.

Je dis « oeuvre » car le genre de cet écrit apparaît de façon obscure, une biographie oui mais une biographie emprunte de liberté, une « biographie subjective », expression qui semble contradictoire. C’est un petit ouvrage qui relate la vie de Romain Gary sous un aspect particulier, il ne s’agit pas d’un simple rapport sans saveur, quasi-scientifique et exact. Le Tombeau de Romain Gary est marqué d’une proximité déroutante car le procédé énonciatif est en soi surprenant: Nancy Huston parle à un mort comme si elle parlerait à un vivant et ce en le tutoyant.

En effet tout au long du livre l’écrivain tutoie Romain Gary, le fait revivre, fait face à une réincarnation du romancier. Le titre prend alors tout son sens, le tombeau c’est non seulement la construction architecturale destinée aux morts mais il désigne également des pièces musicales, plus précisément baroques, dédiées à un mort, en gros unhommage en bonne et due forme tout comme l’est le tombeau poétique, même concept appliqué à la littérature. (On retiendra le Tombeau de Théophile Gautier par exemple.)

C’est donc un hommage qui fait perdurer l’écrivain qui le fait revivre le temps de quelques pages comme si celui-ci était en face de nous. Romain Gary contre toute attente ne devient pas une marionnette sans âme que Nancy Huston agite vraisemblablement,  certes elle s’appuie sur des éléments autobiographiques mais elle leur donne un véritable souffle fait de vie et de passions humaines. Elle s’appuie également sur l’analyse des oeuvres de Gary ainsi que celles d’Émile Ajar, nous faisant entrevoir tout un panel de créations littéraires. On retrouve dans cet entretien un parcours initiatique, c’est le récit d’une recherche qui s’effectue petit à petit… Celle de lavraie nature de Romain Gary. Existe t-il un écrivain plus caméléon que celui-ci ? Identités multiples et pourtant bien distinctes: Émile Ajar et Romain Gary partagent le même corps mais Émile Ajar n’est pas Romain Gary. Paradoxe physique, rupture de l’esprit et schizophrénie latente : Tels sont les lots de Romain Gary, de l’écrivain aux identités multiples, de celui qui fut à la fois menteur et prophète. On voit donc dans le récit de Nancy Huston cette recherche pour littéralement débusquer l’être de Romain Gary, une recherche identitaire de l’homme.

Romain ? Non, son premier prénom comme elle l’explique a été Roman. Comme si ce prénom dessinait déjà une destinée fabuleuse, celle de l’écrivain qu’il fut. Il a également eu plusieurs noms et plusieurs pays… Tant qu’il en devint apatride. Qui est-il alors, ce Roman ? Celui qu’il laisse transparaître dans La Promesse de l’aube, son grand roman autobiographique ? Ou ne seraient-ce que des fabulations plus ou moins embellies ? Nancy Huston nous montre alors le Roman que personne ne connaît réellement, le vrai Roman.

Personnellement j’ai tout d’abord trouvé son tutoiement insolent, témoignant d’une proximité déplacée. Ça m’a fortement déplue. Puis je me suis habituée au gré des lectures. Ce tutoiement traduit un certain attachement même si Nancy Huston se montre parfois acerbe envers le destinataire de ses écrits:

« (…) Nous sommes donc rapprochés par ce dégoût de ce que tu donnais à voir et à entendre au monde, et c’est ce qui m’autorise à te dire tu.« 

Elle n’hésite pas non plus à clamer : « C’est faux. » concernant quelques déclarations personnelles de Romain Gary, fait qui m’a totalement chamboulée. À croire que Nancy Huston a été équipée d’un détecteur de mensonges qui traverse les temps. Je ne dis pas qu’elle n’a pas le droit de mettre les déclarations de Gary sous le prisme de la fausseté mais je trouve ça incroyablement culotté. Et c’est sûrement ce qui fait l’originalité de l’oeuvre. Car Romain Gary est une anguille qui file entre les doigts, il faut donc aller à contre-courant pour l’attraper et découvrir sa vraie nature. Même si il faut avouer que Nancy Huston n’y va pas avec le dos de la cuillère et qu’elle impose avant tout ses propres convictions. L’avis d’un expert de Romain Gary sur cette oeuvre m’intéresserait d’ailleurs beaucoup quant aux déclarations faites dans ce livre.

Nancy Huston montre l’être de feu qu’il était, homme incandescent qu’on ne peut toucher sans se brûler les doigts. Prométhée des temps modernes, Jésus imprégné de vices, imprégné de l’humanité. Un Jésus imparfait, humain.

« Il fallait que tu prennes sur toi les péchés de tous les hommes.« 

On retrouve également l’image d’un Romain Gary poursuivit par sa mère, Mina. La question « Comme ça, maman ? » apparaîtra comme un leitmotiv tout au long du livre comme l’existence de sa mère aura hanté Romain Gary jusqu’à la fin de sa vie. Cette phrase rythme ainsi de manière progressive les âges de l’écrivain dans l’oeuvre de Huston. Cette mère fabuleuse et fabulatrice sera toujours présente dans le coeur de son fils et fut d’ailleurs celle qui cru dès sa naissance à son talent.

« Roman pas mort! » scande le mot d’Émile Ajar à André Malraux pour le roman Gros-Câlin. Roman pas mort. Roman. Gros-câlin? Premier succès d’Émile Ajar qui remporta le prix Goncourt ? Ou Roman… Roman Kacew ? Le Juif russe, celui dont le succès se rétracte petit à petit, plus connu sous le nom de Romain Gary ? Roman n’est pas mort. La vie entière de Romain Gary est empli d’une duplicité que Nancy Huston pointe admirablement.

À travers l’analyse de plusieurs oeuvres de Romain Gary, de péripéties jonglant entre les livres et les femmes, Nancy Huston dresse plus qu’un portrait : C’est l’intimité même de Romain Gary que le lecteur pénètre plus ou moins directement, une intimité que personne n’a jamais vraiment percée, même dans son entourage. La preuve en étant Émile Ajar. Qui, en dehors de son neveu, était au courant de l’affaire qui bouleversa le prix Goncourt ?

Au final Romain Gary se suicide un 2 décembre, à 66 ans, deux fois l’âge du Christ. Hasard ou douce préméditation ? À voir. (Mais surtout à lire dans Le Tombeau de Romain Gary.)

« Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »

Vie et mort d’Émile Ajar (1981) +

Le Tombeau de Romain Gary est un petit livre qui se lit facilement même en ne connaissant rien de l’existence de Romain Gary. Je le conseille fortement car c’est la découverte de tout un homme sous un angle particulier, pas cet angle encyclopédique nourri de faits et de citations mais un angle nourri de l’être même de Romain Gary. Un livre qui transmet la fascination d’une femme (Nancy Huston) qui nous fait découvrir un homme (Romain Gary).

Le baron Rouge (Der Rote Baron)

Le Baron Rouge est un film réalisé par quelqu’un qui ne va sûrement pas vous évoquer grand chose, mais il est de mon devoir de poser son nom ici : Nikolai Müllerschön. Il est vrai qu’on entend assez peu parler du cinéma allemand aujourd’hui, ombragé par les grosses productions américaines. (Qui n’ombrage pas que les productions allemandes par ailleurs.)

Ce film fait honneur à un héros allemand de la Première Guerre Mondiale : Manfred Von Richthofen, plus largement connu sous le pseudonyme de Baron Rouge en raison de son triplan Fokker Dr.1 qu’il avait peint d’un rouge criard afin que, amis ou ennemis, celui-ci se fasse repérer.
Le Baron Rouge est donc un film retraçant une partie de la vie du plus célèbre des aviateurs, l’as des as de l’aviation, aussi bien admiré du côté des allemands que celui des français. Personnage de légende, nimbé d’une aura victorieuse, Manfred Von Richthofen a fait l’objet de nombreuses premières pages de journaux, d’un mythe héroïque et est aujourd’hui une figure emblématique de l’aviation. Un homme tant admiré que c’est sans hésitation que le gouvernement allemand utilisera son image à des fins propagandistes.

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Fokker Dr 1

Il se devait donc qu’une production cinématographique lui fut consacrée.
Personnellement, avant ce film, je n’avais jamais entendu parlé d’un certain « Baron » encore moins de couleur « Rouge ». Au nom de ce film je commençais donc à m’imaginer un personnage fabuleusement intriguant: Un baron dont la richesse était incroyable, surnommé « Baron Rouge » car suspecté d’assassiner chacune de ses femmes, bref. Voilà ce que ma bonne crédulité m’indiquait gentiment. (Oui, vous pouvez rire, lecteurs impitoyables.) Or il n’en fut rien. Et c’est donc dans une heureuse surprise que j’ai découvert ce film et surtout cet homme replacé dans une atmosphère épique et pleine de souffle, dans le ciel de 14-18.

Première Guerre Mondiale. Qu’est-ce que cela évoque ?
La boue, les tranchées, l’immobilité. Les soldats confinés dans des cercueils de terre. LeBaron Rouge s’intéresse à un autre aspect de la guerre, celui de l’aviation, des batailles aériennes. Un côté dont on ne parle pas tant que ça dans les bouquins d’Histoire. C’est-à-dire un côté complètement différent que cet affrontement franco-allemand. Détachés de ces affrontement terrestres statiques, les combats aériens étaient beaucoup plus libres. Le film commence avec légèreté, les aviateurs de la Première Guerre Mondiale ne vivent pas vraiment l’horreur de la guerre, ils font ce qu’ils aime le plus: Voler. Et il faut croire que cela leur convient tout à fait. C’est en tout cas ce qui transparaît du film lui-même.

Ce film fait passer beaucoup de « valeurs positives » quitte à s’éloigner du contexte historique. Les aviateurs sont fair-play, le respect et la fraternité sont présents au coeur même des combats. Ainsi dès le début du film les aviateurs allemands rendent hommage à un aviateur du camps adverse, un britannique, en risquant leur vie. C’est ce que montre le film or cela ne reflète pas tant que ça la réalité historique de l’aviation durant la Première Guerre Mondiale. Bien sûr, tout cela est enjolivé, les aviateurs ne vont pas si loin pour montrer une quelconque admiration envers un ennemi, c’est grossir le trait. Le Baron, lui, revêt tout ce qu’il y a de positif en un héros de guerre. C’est un film que j’adore mais d’un point de vue critique, il faut se rendre à l’évidence, il n’est pas si bon. Disons, qu’il n’y a pas un réel respect de l’Histoire. Il y a un sentiment de sincérité dans ce film mais pas de réel authenticité malheureusement.

Quelque chose de vraiment dommage également, c’est que le film soit énormément romancé. Le film se centre sur la présumée romance entre Manfred Von Richthofen et Käte Otersdorf, une infirmière qui avait pris soin de lui lorsqu’il était gravement blessé. On est même ici dans le domaine de la fiction car il n’y a aucun document qui parlerait d’une quelconque relation entre les deux. Il existe juste une photo les représentant et où les deux n’ont aucune proximité physique par ailleurs. Non seulement cette histoire trop romancé est déplaisante mais elle est de plus fictive. Enfin, je dis « déplaisante » mais ici c’est affaire de goût, personnellement je n’apprécie pas ces films un peu trop romancés. Mais quand il n’y a pas de superbe histoire d’amour le film a plus de chance de faire un flop d’après ce qu’une de mes professeurs m’avait dit, alors on peut tout de même percevoir une stratégie commerciale dans l’ajout de cette histoire qui ne présente pas un grand intérêt.

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« Kate… T’es bonne. »

Le réalisateur a même inclut un pilote juif. Avec une étoile de David sur son biplan il est présenté comme étant le grand ami de Richthofen, gros clin d’oeil à une volonté d’amitié judéo-allemande. Puis ajout de pathos, celui-ci meurt et Richthofen en est grandement affecté. (D’ailleurs je vous cache pas que c’est une scène qui m’a beaucoup touchée mais en tant que critique c’est un peu gros, ça fait un peu: « Tac je fais mourir le juif pour vous montrer à quel point ça nous touche nous les allemands. ») Ce film est truffé de petites allusions comme ça, le tout prônant une joyeuse camaraderie entre tous les pilotes du ciel de tous les horizons et de toutes les religions. L’horreur de la guerre transparaît donc vaguement, sauf lors de ces grands bombardements occasionnels quand Richthofen est au sol et que les combats terrestres sont montrés de plus près. Richthofen se place alors contre le gouvernement et les dirigeants devant ces horreurs et l’image de propagande que l’État veut véhiculer. Richthofen s’inscrit dans cette continuité héroïque quelque soit ses choix dans n’importe quel domaine.

On a tout de même cet esprit de compétitivité qui motivait Richthofen à devenir le prochain as des as qui est perceptible dès le début avec cette brève rivalité entre le Baron et Lanoe Hawker, prestigieux pilote de la R.F.C et arborant la Faucheuse sur le fuselage de son avion. Le grand nombre de trophées de guerre présents dans le garage de Richthofen montre son ambition à devenir le prochain as des as et une référence à un autre as allemand est d’ailleurs rapidement faite. On voit donc tout de même ce côté mordant et carnassier du Baron qui n’est pas qu’un enfant de choeur.

C’est donc un film qui met la figure du Baron Rouge en valeur, loyal, ambitieux, romantique, incarnant la réussite, la force… Une réelle figure héroïque. Le film donne plus la parole à la légende et non à l’Histoire. Faire perdurer cette image légendaire paraît être une valeur plus sûre pour le film et sa réussite.

Les combats aériens sont relativement bien faits, ils ont utilisés des vraies armatures d’avions si mes souvenirs sont bons, j’avais vu une partie du making-off il y a assez longtemps. Un certain archétype du pilote est développé : Aimant les cigarettes françaises, les cabarets, personnalisant leur avion, portant une belle écharpe… (Ce qui est assez drôle d’ailleurs c’est que certains pilotes ont une écharpe d’une épaisseur quasi-nulle et ce n’est pas avec ce genre de vêtement que l’on part en plein vol à bord d’un biplan. Ça caille là-haut. Enfin je dis ça… On remarquera surtout que tout le monde est emmitouflé dans une écharpe en laine sauf le grand Richthofen qui lui lutte contre les ouragans et ne peut tomber malade, sûrement parce que sa dulcinée est infirmière. Il peut donc se permettre de voler avec une écharpe aussi fine qu’un foulard.) En bref, une idéalisation des pilotes, leur donnant une allure et un charisme transcendant.

Le film a en tout cas le mérite de bénéficier d’une bande son absolument magnifique et je recommande à tout le monde d’aller écouter quelques musiques parce qu’elles sont, à mon humble avis, remarquables. Bien sûr c’est un film qui montre Richthofen comme étant un pur héros, on a donc bien sûr une bande son qui fait particulièrement bien ressortir cet aspect : On a à la fois l’excitation des combats aériens, l’ambition, l’émerveillement, la fierté et quelques musiques touchantes histoire quand même de provoquer le sentimental, de toucher et de marquer le spectateur un peu plus. (Notamment lors de la mort de l’ami de Richthofen, lorsque celui-ci serre le cadavre contre son corps, la musique donne une réel intensité aux lamentations du pilote.) L’instrument le plus utilisé pour ces musiques émouvantes est le violoncelle, choix que je ne peux qu’approuver car c’est pour moi un des instruments qui fait le plus vibrer l’âme humaine, un instrument langoureux, parfois sourd et dont les vibrations s’émanent dans le corps. Le violoncelle détient une fibre qui permet de toucher facilement, surtout quand celui-ci est joué lentement, on a l’impression que l’instrument pleure. Pour les pistes à violoncelle je recommande: The Red Baron (Sûrement la piste la plus emblématique du film, avec un thème qui revient comme un leitmotiv dans plusieurs des pistes) et Operation Why qui est joué durant la mort du pilote juif et qui est sûrement une de mes favorites. Puis il y a ces pistes qui font tout l’héroïsme d’un combat, toute sa splendeur, le tout dans un mariage tonitruant d’instruments. Mais on a vraiment un sentiment de grandeur et de risque en écoutant ces pistes et c’est très vivifiant, par exemple Airbattle 1 ou Red qui elle se montre quand même un peu plus sage au niveau des percussions. (Mais le moment où est jouée cette piste durant le film crée vraiment un effet de splendeur et reflète bien la fierté de Richthofen devant la couleur criarde de son triplan.) La musique a été composée par deux artistes: Dirk Reichardt et Stefan Hansen. Deux personnes absolument inconnues, en tout cas pour moi. (Puis en regardant leurs productions je me dis qu’elles le sont aussi pour tout le monde, enfin.)

D’un point de vue global ce n’est pas un film exceptionnel et cinématographiquement riche avec un intérêt historique concret. Mais c’est un film qui mérite d’être vu de par les émotions qu’il dégage, il y a une certaine aura. À voir donc mais à ne pas prendre comme l’enseignement d’une réalité historique. Je l’ai personnellement beaucoup aimé et c’est même ce film qui m’a lancée dans la passion de l’aviation et plus particulièrement la passion des biplans/triplans. C’est un film qu’il faut quand même savoir apprécier.

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La logique du « friendzoning »

Qui n’a pas entendu parler de ce terme ? « Friendzoned« , « frendzoning » ? Qu’est-ce que c’est ? C’est simplement quand une personne déclare son amour à une autre et que celle-ci réponds:

« Désolé, je préfère qu’on reste amis.« 

Généralement cette phrase est attribuée au sexe féminin. Et mon dieu que ça doit blesser la personne éconduite car il suffit de taper « friendzoning » ou « friendzone » sur Google pour voir que ce terme est devenu un meme et qu’il montre le « friendzoning » comme étant un peu un « foutage de gueule » ou comme étant une espèce de fatalité où on se morfond peu à peu. J’ai toujours trouvé ce concept de « friendzoning » complètement stupide. Déjà ça dénote un certain mépris de la part de la personne qui se fait gentiment éconduire et elle apparaît comme étant complètement butée. Ça y’est X personne ne veut pas de lui ou elle alors c’est bon il faut s’acharner sur la personne qui nous a repoussé. C’est énervant car souvent ce schéma se retrouve dans les amitiés dites « mixtes »: Si une personne se trouve être amicale avec une personne du sexe opposé alors ça y’est ce n’est pas pour une simple amitié. Oui mais non, c’est complètement stupide cette façon de penser et ça ne mène à rien. Des fois quand je lis des choses sur le « friendzoning » j’ai l’impression qu’on peux pas être gentil avec une personne du sexe opposé parce que sinon celle-ci va se faire des idées. C’est quoi ce raisonnement primitif ? Si tu veux être ami(e) avec une personne du sexe opposé tu fais comment alors, tu le fais pas ?

Rien que le nom, « friendzone », c’est comme si on te mettait dans une boîte avec une étiquette « friend » sur le front. Comme si il y avait une catégorisation de la personne, que tout était fermé et bon pour la casse. Les gens sont juste frustrés de pas avoir réussi à se caser avec telle ou telle personne et ça blesse l’ego, alors comme exutoire on cherche à rejeter la faute sur l’autre personne.

  • « C’est lui/elle qui a tort et pas moi. »
  • « Elle/Il a dit que j’étais gentil(le), que j’étais parfait(e) mais elle/il veut pas de moi, c’est elle/lui le problème.« 

(Oui je mets les deux sexes avant qu’on me crie que je suis une grande féministe parce que c’est pas le sexe que je condamne ici mais c’est toute la connotation du terme « friendzoned ». Même si on remarquera que dans 99% des cas c’est la fille qui est en tord.) Tout de suite c’est l’autre qui débloque. Et c’est pas non plus parce qu’on se fait rejeter que tout de suite il faut couper tout contact avec l’autre.

Après je sais bien que c’est souvent utilisé à des fins humoristique, mais ça je m’en fous un peu à la limite, seulement ça véhicule une certaine image de la situation et après les gens qui se retrouve « friendzoned » le prennent mal parce que voilà, il éprouve une certaine « réduction », réduction par ailleurs inexistante, comme si ils retournaient au bas de l’échelle. Être « friendzoned » ça entache la fierté selon ces meme, un peu comme si on était bien pigeonné.

Puis vous voulez que la personne qui rejette les avances de l’autre fasse quoi ? Elle a le choix ? Si elle aime l’autre tant mieux, mais si elle ne l’aime pas ? Alors quoi ? On reste plus ami, du coup ? C’est quand même dommage après tout le temps que deux personnes peuvent passer ensemble, surtout si on s’entend bien avec cette personne. Alors oui, du coup on choisit l’amitié, parce que c’est ce qu’on a toujours ressenti dans la relation qu’on entretenait. Après les gens « friendzoned » se plaignent que la personne a été « gentille » avec eux. C’est sûr que si on traitait l’autre comme un déchet il ne serait pas vraiment considéré comme un ami. Parfois on dirait que les personnes « friendzoned » voient ce rejet comme une perversion, comme si la personne désirée vous remplissait d’illusions pour vous briser en petits morceaux à la fin. C’est vrai, ça existe mais de là à généraliser je trouve ça délirant. Je vois certaines personnes croire qu’ils sont carrément instrumentalisés par la personne qu’ils aiment, comme si le gars ou la fille profitait de la situation et je trouve ça aberrant parce que le terme « friendzoning » en vient à recouvrir une réalité casuelle qui est bien loin de ce que la majorité des gens pensent quand ils repoussent doucement des avances. Couper les ponts n’est pas une solution et quand on veut garder contact il me semble que le premier choix qui vient c’est l’amitié, non ? Ou les gens préfèrent garder contact dans une tension absolument insupportable, vous en connaissez beaucoup qui font ça ? Et beaucoup semblent oublier que l’amitié n’est parfois qu’une étape intermédiaire à une relation plus sérieuse et avancée, alors où est le problème ?

Je trouve que « friendzoned » est un terme qui témoigne d’une grande immaturité et fermeture d’esprit. Ce genre de chose m’est déjà arrivé, j’ai gentiment repoussé puis on m’a carrément foutu le mot « friendzone » noir sur blanc. Finalement le gars est parti. Et c’est dommage d’ailleurs parce que quand on est dans la joie de s’être fait de nouveaux amis et qu’au final ça débouche sur une tragédie ça sonne un peu. Donc que les gens réfléchissent avant d’utiliser ce terme par effet de mode ou ne serait-ce que pour tenter de justifier ce rejet en accusant l’autre personne d’avoir été soit disant trop « gentille », c’est pas comme si se faire repousser était une honte ou quoique ce soit.

Ignis et Cignis

Je ne me doutais pas de ce que ces yeux avaient vu, de ce que ce corps avait fait.
Que ce corps s’était imbriqué dans un autre,
Que des souffles avaient été mutuellement échangés
Comme des larmes que l’on verse.
Des mouvances avaient été simultanées, d’une complémentarité
Assommante.

Une balade dans l’Eden envié pour consommer le fruit,
Pour cueillir la fleur aux senteurs aigre-douces d’été.
Mes yeux sont à moitié aveugles
Mais tout mon être perçoit un syncrétisme de feu, de chair et de soupirs revenus du passé.
Ma tête s’appesantit et les corps se lient.
Le cœur se nécrose, comme trempé dans l’humeur noire,
La mélasse amère : Grenade dont le sang s’enflamme à la moindre étincelle,
Étincelle d’étoile ou de briquet, de rêve ou de réalité…
Et explose.

Jetée là, sur un champ de cendre où naissent les épais nuages qui enfantent l’orage et la pluie,
Là où le Verbe ne fait plus écho, où le souffle vient mourir.
Désert peuplé de corps voilés d’un blanc grisonnant,
De spectres aussi volatiles que les souvenirs que je n’ai jamais vécu
Et que je ne vivrai jamais.

Je suis la fille des songes,
Celle qui meurt à chaque aube, à chaque naissance du jour
Et qui ne renaît que dans l’illusion, la carnavalesque et les arlequinades.
Dans la brume et les limbes les gerbes de blé dépérissent,
Tout comme mon âme
S’efface et se disperse, parcelle par parcelle, dans l’Entre-monde.
Comme une volute de fumée qui se répand dans l’air hivernal
Hors des chaumières, hors du foyer, hors de la chaleur :
Hors de l’humanité.
Faute d’avoir écouté Cassandre, j’arrive trop tard.
L’espoir s’estompe comme un mirage. On me l’a arraché,
C’est sans retour.

Mais par delà la chair je cherche l’âme, aussi palpable que l’air.
Coincée, là, sous la voute corporelle,
Je cherche l’invisible.

Les jeunes femmes de Greuze

J’ai décidé de m’intéresser à Jean-Baptiste Greuze, peintre du XVIIIème siècle, non pas pour ses principales oeuvres comme son Père de famille expliquant la Bible à ses enfants et ses autres tableaux aux scènes moralisatrices que Diderot appréciait tant et qu’il a par ailleurs commenté dans Salon de 1765 (extraits). Aujourd’hui ces thèmes me paraissent si fades et désuets, je ne vais pas m’infliger une analyse de ces thèmes éminemment patriarcaux et cléricaux chez Greuze. C’est un thème bien précis de Greuze qui me fascine et sur lequel je vais me pencher. Il m’interloque assez car c’est un thème spécifique et surprenant: Celui des jeunes filles qui viennent tout juste d’être déflorées. Ce sont tantôt des portraits, tantôt des scènes d’intérieur… L’éclectisme de ses tableaux est assez interpellant, ainsi on a le modèle de la vertu dans certains et des modèles érotiques dans d’autres tel que Le chapeau blanc. Ces toiles de jeunes filles sont gracieusement libertines, parfois remplies de candeur ou de désespoir.

La cruche cassée :

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Le titre donne le ton: La cruche cassée. Ainsi le spectateur a le regard dirigé vers la cruche que la jeune fille tiens par la anse et qu’elle était venue remplir à la fontaine se trouvant derrière elle. Tout en sachant que la jeune fille vient de perdre sa virginité il est alors évident de faire le lien entre cette perte et la cruche cassé qui n’est autre que la matérialisation de cette perte. On entre ici dans un cadre propice car c’est une atmosphère bucolique qui entoure cette jeune femme se tenant à l’orée d’une forêt, des fleurs dans les cheveux et entremêlées à ces vêtements qu’elle retient de ses deux mains. C’est une figure de l’angélique que Greuze dépeint ici par des couleurs claires, le rose, le blanc et le bleu sont présents sur toute sa figure, couleurs à la fois pures et célestes. Elle est naïve, le rose aux joues elle tient un pan de son vêtement placé devant son sexe, insistant sur l’endroit qui fait l’histoire du tableau, ses mains forment ainsi un triangle, forme du pubis. Le trou de la cruche est parfaitement linéaire au sexe de la jeune fille et indique ainsi le parallélisme entre ses deux endroits, on a une comparaison intuitive. La cruche cassée serait alors l’hymen déchirée de la jeune fille. Malgré cela le modèle respire la pureté, sa position est gracieuse et ses yeux sont d’un bleu profond encore enfantin. Ses vêtements sont défaits et laissent entrevoir sa peau laiteuse, sa gorge, son buste et un sein à moitié découvert soulignant l’érotisme du tableau. Ainsi le rose renvoie à la sensualité pure, associé aux joues, aux lèvres et au téton découvert. Ses vêtements sont froissés, un jeu des diagonales est présent mettant un peu plus de désordre dans ses vêtements, son foulard translucide laisse voir sa peau et recouvre son épaule droite, laissant dénudée son autre épaule et indique la direction de son corsage défait. La fontaine en arrière-plan suit l’architecture antique et laisse entrevoir une peinture de style néo-classique avant l’heure. La chevelure de la jeune fille s’inscrit également dans une esthétique grecque, on en revient aux grâces de l’antiquité. Pourtant on peut détecter une certaine lubricité de la part du peintre derrière les figure du lion crachant un jet d’eau (que l’on peut par analogie associé à autre chose que de l’eau) et la tête de bélier de face qui au XVIIIème siècle à un connotation bien particulière. Étant assez calée grâce à mes lectures de Sade, je ne résiste pas à citer un passage de Justine ou les malheurs de la vertu où le fameux bélier est de mise: « Les chairs ramollies se prêtent, le sentier s’entrouvre, le bélier pénètre; (…) » Voilà qui est dit, le bélier est cet animal qui fonce et qui a donné son nom à la machine de guerre servant à enfoncer les portes. Ce tableau, furtivement vu en cours pour observer le style de Greuze, m’a beaucoup marquée et m’a donné envie de me pencher un peu plus sur le cas de ce modèle.

La jeune fille à la colombe : Vierge ou déflorée?

Je vais aussi faire un petit arrêt sur la Jeune fille à la colombe, qui est un très beau tableau aussi:

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Tableau un peu plus ambigu que le précédent car tout respire la pureté. C’est une jeune fille blonde, au yeux clairs et malicieux, les deux couleurs dominante sont le blanc et l’or. Pureté, richesse. Les filles de Greuze malgré le déflorage gardent une figure vierge et innocente. Cette jeune fille tient même un colombe dans ses bras, symbole religieux de pureté, symbole de la vierge. Le haut de son corps est largement découvert par cette robe aux allures grecques, ainsi que ses bras et ses jambes. C’est un érotisme beaucoup plus subtil. A priori, rien ne laisse entrevoir que cette fille n’est plus vierge. Or, le premier détail qui me marque dans ce tableau (et qui m’indique que cette jeune fille n’est plus vierge justement) c’est ce pied de table. Oui, oui. Le pied de table, regardez le bien. Il est placé entre les jambes de la fille à la colombe mais plus encore, c’est une tête de bélier de face qui est représenté sur ce pied. C’est on ne peut plus équivoque pour les raisons exprimées ci-dessus pour la cruche cassée. Mais ce tableau peut tout de même porter à confusion et on ne sait avec exactitude si c’est un portrait de jeune fille vierge ou déflorée. On retrouve donc ici tout ce qui fait la subtilité de ces tableaux de jeunes filles déflorées où Greuze prône le symbole et le non-dit.

Le miroir cassé :

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Un dernier tableau que je décide de rajouter au dernier moment car je l’avais oublié. Le miroir cassé est également une métaphore pour la perte de la virginité. Ici le « conseiller des grâces » perd sa grâce. L’environnement reflète, tel un miroir, l’état d’esprit de la jeune fille. Le désordre, l’embrouillement, l’apitoiement. Le corsage et les cheveux sont défaits, le regard est triste et préoccupé, même le chien semble être méfiant et dans un autre état. Elle se trouve dans sa chambre, près de son lit et montre du dépit vis-à-vis de ce qu’il vient de se passer. Il y a profusion de vanités qui rendent de la chambre austère, un miroir, des bijoux, une bougie éteinte… Elle a les mains placés sur ses jambes et le mouvement de ses jambes laisse penser qu’elle s’est laissée tomber sur sa chaise, trop soucieuse de la perte de sa virginité. On a ici, a contrario des tableaux précédents, une figure moins noble, moins naïve et plus malheureuse comme dans les Oeufs cassés.

Je m’arrête ici pour cette rapide analyse mais vous laisse quelques liens intéressant liés à Greuze:

Essais sur la peinture – Diderot Disponible en entier sur Gallica

L’oiseau mort

Les oeufs cassés (L’oeuf cassé à toujours été le symbole de la perte de la virginité, aussi présent chez Steen Jan dans l’Intérieur d’une auberge.)

Et voilà notre bonhomme pour finir en beauté: Autoportrait de Greuze