Analyse d’Akagi Shigeru (赤木しげる)

Arrêt sur un personnage qui mérite un article et qui réclame toute mon attention : Akagi Shigeru, du manga éponyme Akagi.

À vrai dire, c’est la première fois que je ressens l’ultime besoin de m’arrêter sur un personnage (plus précisément sur un personnage issu du support manga, qui est bien plus souvent un simple support de divertissement qu’une oeuvre à part entière). Cette entreprise d’analyse « psychologique » d’un personnage fictif, ne nous le cachons pas, est vaine. Cet article ne sera alors que conjectures et interprétations du personnage, dans ses paroles, sa vision de la vie et ses manières de faire car même si l’analyse psychologique est impossible, il s’en dégage des clés d’interprétation non négligeables. (Cet article fera donc une petite entorse aux sujets que j’ai l’habitude de traiter.) Comment ne pas être fasciné par Akagi ? Ce jeune homme que l’on accompagne de ses treize ans jusqu’à l’âge adulte et finalement jusqu’à la vieillesse dans Ten.

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Suivre Akagi d’âge en âge participe à l’attachement que peut éprouver le lecteur ou le spectateur envers Akagi, malgré la froideur que peut dégager sa personnalité a priori. Akagi est un personnage énigmatique, qui fait son entrée sous couvert d’une fausse identité afin d’échapper à la police. Présenté comme étant le neveu de Nangou, aucun indice sur sa véritable identité n’est donné, aucune présence d’une quelconque famille, d’un quelconque parent a contrario de Kaiji dont on sait qu’il a une mère en vie et une soeur. Rien de tout cela pour Akagi qui apparaît aussi évanescent et insaisissable que la fumée. De multiples identités s’offrent à Akagi qui est seulement âgé de treize ans : Orphelin ? Fugueur ? Dans cette période d’après-guerre et de reconstruction Akagi est un enfant qui ère dans un monde sorti du chaos et encore agité. L’identité d’Akagi et son esprit restent ancrés dans le mystère le plus total et ce tout au long de l’anime. La vacance identitaire d’Akagi fait de lui un véritable creuset d’émotions. Sans identité fixe, la personnalité d’Akagi ne semble pas fixe elle-même. (Dans le manga et l’anime Akagi se fait d’ailleurs usurper son identité par une personne qui lui ressemble physiquement, preuve qu’Akagi donne naissance à une multiplicité d’identités, de fabulations et de faux-semblants.) C’est une personnalité lunatique, comme le lecteur peut le constater par les nombreux rebondissements inattendus qu’offrent sa pensée. Je ne me baserais que sur l’anime et quelques passages du manga. N’ayant pas encore lu Ten en profondeur je ne peux me livrer à une analyse du Akagi de 40-44 ans, à mon grand regret. Je ferais des ajouts à ce sujet si je le juge nécessaire.

Avant de commencer j’aimerais m’attarder sur l’opening de la série qui tient une réelle importance dans l’animation d’Akagi. Nantokanare, la chanson de l’OP, est loin de laisser tout le monde indifférent. Rare sont les OP comme celui-ci, avec un rythme lent et une tonalité mélancolique, au bord de la monotonie.

Nothing but false stoicism,
Half a year passed by already.
What has changed? Who did you love?
Now the dreams inside my head have started crumbling,
Somehow I’ll be fine.

Nothing but self-abandonment,
Half a year passed by already.
What has changed? Who could you love?
Now the dreams inside my head have started crumbling,
Somehow I’ll be fine, Somehow I’ll be fine…

Les paroles se rapportent directement à Akagi et cette chanson suffit à réaliser quel est son état intérieur. Dans cet OP Akagi est seul et sa mélancolie n’en ressort que plus grande. On le voit observer de jeunes enfants jouer dans la rue alors que  « Half a year passed by already. » résonne. Le temps rattrape Akagi qui continue sa vie dans la lassitude. Akagi est tributaire d’un ennui au sens fort du terme, au sens premier. Avant de vouloir dire « lassé » ennui était synonyme de tourment et de douleur psychologique. [1] Il a ensuite évolué sémantiquement dans le sens que nous lui connaissons aujourd’hui. L’OP nous montre qu’Akagi végète dans une vie qui ne lui convient pas, une vie où rien ne change, où il n’est capable d’aimer et où ses rêves partent lentement en morceaux. La vie apparaît comme un poids pour Akagi qui subit une véritable douleur de vivre. Akagi apparait parfois comme un personnage absurde de par son irrationalité et son peu d’intérêt pour ce qui le rattache à la vie.

L’anime se construit en miroir de façon habile, voilà deux captures d’écran, la première étant tirée de la fin de l’opening et la seconde de la fin de l’anime (On observe une symétrie temporelle et artistique) :

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Akagi jeune, fin de l’OP

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Akagi âgé, fin de l’anime

Ces deux mêmes plans ont tout de différent, tout est régi par un élément : Le temps qui passe. Akagi a vieilli, la nuit est tombée et représente de manière métaphorique la vie d’Akagi qui va vers sa fin. À vingt-deux ans, Akagi est jeune et a pourtant déjà l’esprit d’une personne fatiguée par le poids de la vie, d’où ce crépuscule mélancolique dans le premier plan. Enfin, on ne peut ne pas remarquer la tour de Tokyo située derrière Akagi. Dans la première capture d’écran Akagi a vingt-deux ans, nous sommes en 1957-1958 et la construction de la tour vient de commencer, le Japon sort de la guerre et cherche à retrouver sa puissance. La Tour de Tokyo a été finie en 19 mois seulement. Dans le dernier plan de l’anime nous somme en 1999, le monde a radicalement changé et en témoignent les nouveaux immeubles, les illuminations de la Tour de Tokyo… Malgré le temps qui défile Akagi est toujours là, lui qui vit sur le fil d’un rasoir.

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Après s’être battu avec des jeunes venus pour l’agresser, Akagi se lance dans un de ses premiers monologues. Il reproche à ses ennemis leur immaturité (« unmatured hearts » dans le manga traduit en anglais), leur mascarade… À treize ans à peine Akagi apparait prématurément vieux, avec une vision de la vie nauséeuse. Cette « fausse colère » qu’Akagi pointe du doigt se réfère au fait que le voyou qui l’a agressé ne l’a pas fait en mettant sa vie en danger et en étant prêt à mourir. Cette marque de colère se trouve être hypocrite dès que la force change de camp. Akagi est lassé par ces personnes rongées par la crainte et la peur. Cette vie dans la rue, de loubard, ne convient pas à Akagi qui éprouve un réel besoin d’être sans cesse à la frontière de l’au-delà. Akagi est malade, mélancolique, son seul remède est la rencontre avec la mort. Un remède contradictoire qui fait d’Akagi un personnage lié à la pulsion de mort, au suicide. Akagi est inextricablement lié à sa propre fin, à son autodestruction par le jeu et le pari. La mort apparaît comme un élément salvateur pour Akagi, déjà fatigué de ce monde.

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Akagi est un être en quête d’absolu, il n’y a pour lui pas d’entre-deux ou de milieu. La surenchère fait partie de lui. C’est une quête avide qui repousse sans cesse les limites, qui veut toujours plus, qui veut risquer toujours plus, jusqu’à la mort. Akagi a une logique de l’affrontement très marquée qui doit se terminer par la mort de l’un ou de l’autre, peu lui importe qui y laissera la vie. Tout cela n’a pour but que de le satisfaire, de le retirer de sa lassitude. Gagner ou perdre, qu’importe pour Akagi. Tout ce qui lui importe est de trouver adversaire à sa taille, en cas de victoire son adrénaline et son amusement retombent et il continue de errer. En cas de défaite Akagi perd la vie mais accepte la mort et sa vanité, ce n’est que panacée pour lui. Akagi n’a rien à perdre mais tout à gagner.

Le Chicken-run qui introduit Akagi dans la salle de jeu illustre bien l’être complexe qu’il est. Dans le jeu du chicken-run, le dernier à freiner avant le bout de la falaise gagne. Pour gagner Akagi fait abstraction de la mort. C’est donc en se rapprochant au plus près d’elle que Akagi garde la vie sauve : C’est la vie par la mort. Akagi est comparé à la figure du Christ par Fukumoto, tout comme le Christ Akagi passe par la mort pour mieux renaître, selon le principe de la résurrection.

Je n’ai jamais eu l’intention d’appuyer sur le frein.

Akagi porte peu d’attention à sa vie car au final c’est elle qui génère la peur. Akagi est une personne têtue, qui ne lâche rien dès qu’une idée germe en lui. Nandou apparait souvent comme une figure castratrice pour Akagi, incarnant la raison et essayant sans arrêt de le stopper dans ses manoeuvres folles et suicidaires. Mais Akagi est le double inversé de Nangou, vivant dans l’irrationalité, dans le flirt avec la mort. Alors que pour tout ceux qui l’entourent miser de grosses sommes revient au suicide Akagi pense tout le contraire. C’est en se rapprochant de cette mort que Akagi compte gagner. Pour lui, ne pas miser beaucoup revient au suicide. La conscience du suicide par le Akagi âgé de treize ans est encore floue et reste dans l’ordre du ressenti plutôt que dans sa pensée. Je montrerais un petit plus tard que c’est dans la vingtaine qu’Akagi prend le suicide comme une idée plus claire et comme une réelle option.

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Le passage de la roulette russe entre Akagi et Ichikawa montre sa nature impulsive, de casse-cou et son goût du risque. Akagi est un garçon qui frôle la folie et qui aime la frôler pour rendre sa vie moins ennuyeuse. Ainsi, il n’hésite pas à faire la roulette russe avec Ichikawa qu’il vient tout juste de rencontrer pour voir de quel type d’homme il s’agit.

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Cette scène sert de contre-point à celle où Akagi se fait agresser. En effet, lorsque Ichikawa propose à Akagi de tenter à son tour la roulette russe Akagi accepte sans rechigner. Cela provoque même son excitation et son plaisir. Quand Akagi se fait agresser il n’en tire aucune satisfaction, la roulette russe est à sens unique et le barillet est déjà vide, retirant tout plaisir morbide.

-Comment te sens-tu, Akagi ?

-Palpitant. Plus c’est insensé, plus c’est intéressant.

Pour pallier sa lassitude, Akagi prend plaisir à frôler la mort, cette cohabitation morbide est ce qu’il recherche le plus. « Insensé », « irrationnel », voilà les mots qui font palpiter le coeur d’Akagi. Pour lui, l’absurde constitue une réponse à la vie, à sa situation d’être vivant alors que traditionnellement l’absurde signifie le « à quoi bon ». Akagi est une figure transgressive, qui inverse les symboles. L’absurde, symbole de la détresse et du manque de sens de la vie va servir à Akagi pour donner du sens à la sienne. Il a une prédisposition à manipuler le réel, aussi bien dans son style de jeu au Mah-jong que dans ses rencontres avec autrui.

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Akagi instaure un rapport de force entre lui et ses adversaires, un rapport de force qui va jusqu’à la mort (symbolique ou non) de l’autre. Ainsi, ses matchs de Mah-jong sont toujours emprunts d’une charge lourde de sens. Ces rapports adversatifs se manifestent par les combats de rue que provoque Akagi ou par ses matchs de Mah-jong. La violence, aussi bien physique que psychologique fait partie du quotidien d’Akagi qui par son moyen tente de rendre son existence moins lasse et monotone.

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Après le match à mort contre Ichikawa, Nangou est pris dans un curieux monologue sur Akagi. En dehors de la folie et du cercle tourbillonnant du monde du jeu Akagi retourne à la platitude de la vie, loin de la spiral de l’argent et de la mort. Son état change considérablement et contraste avec la folie qui l’habite lors des sessions de Mah-jong. Akagi ne joue pas avec qui le veut bien, mais seulement avec ceux capables de mettre en jeu ce qui constitue leur vie : Un bras, une fortune colossale, etc… Devant la liasse de billet que le policier jette sur la table, Akagi n’a aucune expression de joie ou de satisfaction. Les billets ne sont pour lui que de simples « bouts de papier », qui n’ont aucune valeur à ses yeux. (Akagi donne d’ailleurs sans hésiter un million de yen à Osamu dans le manga, preuve qu’Akagi n’est pas avare et que l’argent est bien le cadet de ses soucis.) Pour Nangou, c’est une instance divine qui vit à travers Akagi. Son état de folie contraste nettement avec le collégien qu’il est et cet état spectaculaire relève donc pour Nangou d’une incarnation, voire d’une véritable possession du corps et de l’esprit d’Akagi par une divinité. Les yeux d’Akagi ont une grande importance. Souvent qualifiés de « miroir de l’âme », les yeux d’Akagi montrent une pureté sans égal. Son être n’est pas sali par le désir prosaïque de l’argent, c’est un tout autre désir, loin de ceux des hommes, qui anime Akagi. Suite à cette réflexion Nangou en conclue son manque d’identité (son manque de personnalité), lui qui n’est animé que par le désir vain de la fortune, comme la plupart de ses congénères.

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« It’s just a bunch of paper. »

Akagi n’est pas qu’un être dangereusement pulsionnel et lunatique, il est également doté d’un grand sentiment de justice dont il use auprès de personnes de valeurs. (L’exemple principal en étant Osamu.) Akagi éprouve une certaine répugnance envers le petit banditisme crapuleux dont font preuve les ouvriers de l’endroit où il travaille et dénonce clairement leur entourloupe. Au fond, Akagi est une personne honnête. Le jeune homme se bat chaque soir, se noie dans la violence et les bas-fonds, mais il reste qu’Akagi a le sens de la justice et qu’il ne s’attaque jamais aux plus faibles pour essayer de les dépouiller. Cela ne l’intéresse pas, Akagi ne se bat qu’avec des voyous et des personnes malhonnêtes qu’il juge assez trempés dans le crime. Ce n’est pas le gain qui attire Akagi, mais la violence pure, dans un état brut. Dans ses combats il est souvent seul face à plusieurs personnes, ces combats peuvent être vus comme une tentative ultime de mettre sa vie en danger, de l’exposer à la violence et à la douleur. Mais personne ne peut atteindre Akagi, personne ne parvient à le mettre à terre. Sa vie n’apparait que comme un cercle de débauche qui ne parvient pas à lui suffire et où personne ne parvient à l’atteindre malgré ses expositions répétées à la violence.

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Fait notable, Akagi travaille. Il ne profite pas de son don ou de la manipulation pour s’enrichir mais gagne son argent honnêtement, à la sueur de son front. Akagi parle d’une « vie plus libre », ainsi, écraser les plus faibles pour leur soutirer de l’argent n’aboutirait qu’à un asservissement malhonnête. L’indépendance est un trait particulier d’Akagi, il gagne son argent honnêtement et encore, cet argent n’a pour lui aucune valeur. Il vit alors une existence monotone et banale qui ne sied pas à sa personnalité. Akagi ne se sent pas attaché à son travail, c’est sa vraie « liberté ». Ne pas être attaché à l’argent, au travail, à la vie. Akagi est détaché de tous les points essentiels de la vie comme l’argent et le confort, c’est ce qui le rend libre car détaché de toute matérialité.

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Akagi ne va pas jusqu’à sauver la veuve et l’orphelin mais il reconnait les personnes de valeur et sait les récompenser en leur donnant sa confiance et sa force. Il décide d’aider Osamu de son propre chef car il l’en juge digne. Akagi est une personne d’une grande force mais qui pourtant ne va pas l’utiliser à des fins égoïstes car il se moque de ce que cela pourrait lui rapporter. Ce désintéressement dans les affaires des hommes participe à sa nature qui apparait comme « autre » et divine.

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Akagi vit dans l’instant, la préparation psychologique n’existe pas pour lui. Après avoir battu Urabe, Akagi n’hésite pas à proposer un nouveau match avec des enjeux encore plus importants. La logique de surenchère est ici présente, avec d’un côté la perte des deux mains d’Urabe et de l’autre un endettement à vie d’Akagi.

Je n’ai jamais fait de pari pour gagner quelque chose.

Étant déshinibé des besoins du commun des mortels Akagi joue en toute liberté et sans pression psychologique. Le résultat n’a pour lui qu’une importance minime, l’important étant la mise vitale et l’instant de jeu. Akagi reçoit l’argent et la mort sur un pied d’égalité, gagner ou perdre n’a pour lui aucune importance.

Je suis proche de ces profondeurs.

C’est un rapport abyssale avec la mort que Akagi se plaît à toucher du doigt, le jeu ne sert qu’à se rapprocher de la mort et à procurer ce plaisir. Akagi ne voit pas le jeu comme un moyen mais comme une fin en soi alors que ses adversaires jouent par appât du gain et parfois par besoin alors qu’Akagi joue par le simple principe de plaisir.
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Après ce match contre Urabe, Akagi disparait dans la nature comme à son habitude. On le retrouve dans une maison de jeu yakuza où il empiète sérieusement sur leurs affaires crapuleuses. Les yakuzas cherchent à lui forcer la main en tentant de lui faire changer son pronostic par des menaces de morts. Alors que Akagi a parié pair, les yakuzas cherchent à lui faire dire qu’il a parié impair. C’est un moment clé, Akagi se retrouve seul face à la mort et ne cède pas. Il rejette la mascarade des yakuzas et tous leurs tours frauduleux. Akagi peut mourir pour ses convictions, pour ce qu’il estime être la vérité. Rejetant les faux-semblants et les mises-en-scène, Akagi refuse le mensonge et le tient en horreur. Il y a une forte prise de position qui vise à rejeter le mensonge du système gouvernemental et politique, à rejeter le mensonge despotique. Pour Akagi « la mort et le résultat du jeu » sont deux choses qu’on ne peut changer et déformer, ce sont deux choses immuables et qui tiennent Akagi à coeur. C’est un refus de l’illusion et de la fausseté, Akagi vit dans un monde tangible, fait de concret. On retrouve également la tendance suicidaire d’Akagi :

Je suis en train de te demander si tu veux vivre ou mourir.

Ce à quoi Akagi répond par « Pair », et donc la décision de mort.

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Suite à cette altercation Akagi est envoyé à l’hôpital pour soigner ses blessures. Akagi « regarde la Mort dans les yeux » et ne fait pas que s’en approcher. Il ne la craint pas et lui fait face. La Mort ne lui provoque pas que des « sensations fortes » car la mort peut s’avérer salvatrice pour Akagi. Le désir d’Akagi de mettre fin à sa vie est plus explicite à l’hôpital où il en parle librement.

Mais que faire de cette vie que vous venez de sauver maintenant…

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Son indifférence face à la mort en vient à désoler ses sauveteurs. Akagi n’a pas cette volonté de survie qui occupe tout homme et s’abandonne aux situations désespérées qui mettent sa vie en danger. Akagi est pris dans des spirales, l’écoulement de son sang dans la maison de jeu des yakuzas l’empêche de faire marche arrière et le pousse toujours plus loin. Akagi avoue qu’il aurait été satisfait de mourir pour ses convictions, il n’est pas reconnaissant qu’on lui ait sauvé la vie. Il se trouve même désolé d’être toujours en vie et ne sait que faire. Il est comme une âme qui ère, qui « stagne ». Akagi s’abandonne à la mort, il est conscient de sa condition d’être humain et accepte avec une désinvolture déconcertante son sort, sa mort. Cette conception fataliste des choses fait qu’il ne se soucie plus de la mort. Le regard d’Akagi semble souvent mélancolique et perdu au loin, malgré sa jeunesse Akagi a le coeur d’un homme qui aurait vécu des centaines d’années. Il fonctionne sur les coups de tête et la pulsion, loin de toute rationalité.

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Akagi Shigeru est un être bien singulier, lorsque Ohgi lui explique l’importance de son don Akagi l’écoute et le regarde d’un air peu intéressé et sceptique. Ohgi lui propose le pouvoir et le succès mais Akagi ne lui répond que par un simple « Je ne suis pas intéressé. » C’est ce qui rend Akagi si particulier, aucune ambition ne semble l’animer. Akagi peut tout avoir d’un claquement de doigt mais ce n’est pas la voie qu’il choisi. Son chemin, lui et lui seul le construit comme bon lui semble, loin de toute préoccupation. Pour lui, profiter des autres, vivre sur leur dos, revient à une marque de dépendance. Cela reviendrait à devenir semblable aux voyous contre lesquels il se bat.

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Dans la chambre d’hôpital, Ohgi perce à jour Akagi et ses véritables désirs. En effet, Akagi est las de la vie qu’il mène, ses adversaires ne parviennent pas à le combler, tout devient trop facile pour Akagi. Peu nombreux sont les adversaires capables d’être à sa hauteur. Akagi n’est pas une personne « ordinaire », il est donc tout à fait normal que ses désirs soient au dessus des désirs communs. « Une vie en ébullition », « incandescente », ces termes sont tout à fait pertinents s’agissant d’Akagi. Un véritable feu coule dans ses veines, Akagi est un être d’exception, le voir travailler dans une usine de jouets relève du ridicule.

Tu ne parviens plus à rester dans cette eau tiède où tu stagnes.

Comme le dit Ohgi, Akagi a du mal à rester dans cette atmosphère, d’où sa lassitude de la vie, sa monotonie, son ennui mortel.

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Après l’épisode de l’hôpital, Akagi accepte de suivre Ohgi et le policier pour affronter Washizu Iwao, adversaire qu’il juge digne de lui. Dans le train se déroule un des rares monologues d’Akagi, l’accès à son intériorité est dosé au compte-goutte et participe au mystère de son personnage. C’est donc ici un passage qui redouble l’attention du spectateur/lecteur. Akagi décide d’accepter la rencontre avec Washizu en sachant qu’il va de nouveau rencontrer la mort. La recherche de celle-ci pousse toujours Akagi jusqu’à l’extrême, comme un aimant attiré par le morbide.

Son coeur avait cédé…

En parlant de Washizu Akagi parle aussi de lui, Washizu apparaît comme un miroir, le double d’Akagi. A contrario de la scène avec l’aveugle Ichikawa, ici Akagi considère Washizu comme son semblable. Akagi rencontre enfin une personne à qui il s’identifie, ce qui contribue à faire de cette rencontre le climax du manga/de l’anime.

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Akagi après sa rencontre avec Ichikawa

Dans ce monologue, Akagi dit clairement être lassé d’une « vie remplie de succès mais qui n’est pas encore arrivée à terme ».  La vie n’a pour Akagi aucun sens de par la succès qui vient à lui et à Washizu, une vie remplie de succès est monotone et fade. C’est pourquoi Akagi n’attend que la mort. Contrairement à Washizu Akagi est lucide sur sa condition, on remarquera qu’il utilise un vocabulaire religieux :  « Hérétique« , « Bliss« , « C’est le seul chemin qui te sauvera » (À savoir, sauver de la damnation). Akagi utilise l’image du serpent brûlant à vif pour décrire Washizu, le passage terrestre apparaît comme un véritable tourment, une agonie sans fin et douloureuse.

Toi et moi, nous ne serons jamais compris. Nous sommes des étrangers. Nous sommes du même genre.

Le terme « étranger » est très important, Akagi se voit hors du monde, fermé en dehors de celui-ci par l’incompréhension des autres. Personne ne comprend Akagi et ses pulsions de mort, son goût du risque… C’est un personnage marginal que les personnes ordinaires ne peuvent comprendre. Son caractère extrême fait qu’Akagi est souvent qualifié de « fou » par les gens qui l’entourent. Traiter Akagi de « fou » c’est tenter de se rassurer en trouvant une explication rationnel à son comportement effrayant et dénué de toute valeur commune.

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Dans le match contre Washizu, pour la première fois Akagi met réellement sa vie en jeu de manière tangible et concrète. En effet, l’enjeu du pari est son propre sang qui lui est prélevé directement lorsqu’il perd des points au Mah-jong. Washizu quant à lui met en jeu la totalité de sa fortune. La fortune de Washizu symbolise sa propre vie et tout ce qu’il a accumulé au long des années. Akagi va donc ici montrer de l’intérêt pour ce qu’il nomme des « bouts de papier » mais seulement parce que ceux-ci symbolisent la vie de Washizu. Quand Akagi dit être « miséreux » et vouloir l’argent de Washizu ce n’est qu’un prétexte. Après quelques manches, Akagi refuse qu’on lui retransfuse son sang. Malgré le fait que sa vie soit en danger, peu lui importe. Cette nonchalance d’Akagi parvient également à mettre la pression sur Washizu qui commence à flancher psychologiquement. Le Mah-jong n’est pas qu’un jeu de tactique que l’on peut maîtriser à la perfection, la chance est aussi de mise. Un faux pas et la mort d’Akagi est assurée, c’est tenter le Diable. Le match contre Washizu se révèle être très mystique, Washizu semblent être pactisant du Diable mais la force mentale d’Akagi traverse toutes les épreuves et met en déroute toutes les forces, aussi démoniaques soient-elles. Ohgi incarne ici, tout comme Nangou le faisait, la raison, raison que Akagi éconduit violemment.

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Même après avoir poussé Washizu à l’épuisement, Akagi veut continuer ce match à mort, il sait que Washizu n’a pas été poussé dans ses retranchements. Akagi bouscule souvent ses adversaires psychologiquement en voulant jouer jusqu’au bout, jusqu’à pouvoir les achever totalement. Pour ranimer Washizu Akagi utilise la symbolique forte du sacrifice. Il verse son sang dans une grande gamelle, évoquant quelque rituel maya/inca. Dans Akagi, le sang qui coule signifie souvent le pacte et l’entrée dans une spirale dont on ne peut sortir. Akagi refuse souvent de faire marche arrière de par le sang qu’il a versé, la vue de son sang ne fait que le conforter d’avantage. Washizu est un personnage vampirique, ranimé par la vue du sang de son ennemi et par son auto-condamanation. Pour Washizu, Akagi se jette dans la gueule du loup.

Ça commence à m’ennuyer.

À peine le match interrompu Akagi commence à ressentir l’ennui, le fait de mettre en jeu son sang ne l’a pas ému et déstabilisé, au contraire, il s’agit pour lui d’une opportunité de jeu et d’aller toujours plus loin.

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Non seulement Akagi déverse son sang avec un naturel déconcertant mais en plus celui-ci se moque totalement du fait que la bassine ne soit pas stérile et que son sang pourrait être perdu à jamais. Je l’ai dit plus haut, Akagi aime la surenchère, il va donc se condamner pour de bon en jetant la cigarette qu’il fume dans son sang. En souillant son sang volontairement Akagi montre sa désinvolture et va même jusqu’à renverser le cendrier complet dans la bassine. Face à ce comportement déviant Ohgi et l’homme en blanc de Washizu restent stupéfaits et choqués.

C’est du suicide ! Akagi !

Akagi n’a rien a craindre de la mort, elle a peu de sens pour lui, tout comme la vie qu’il mène. L’homme en blanc se demande ce qu’à à gagner Akagi par cet acte suicidaire, mais comme Akagi l’a déjà dit l’essence du jeu est de se rapprocher de la mort, c’est son ultime plaisir. Au fond, c’est un rapport voluptueux qu’entretient Akagi avec la mort, c’est une danse macabre qu’il mène jusqu’au bout.

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Akagi est un personnage qui restera énigmatique malgré toutes les interprétations psychologiques que l’on peut en faire. C’est un être insaisissable, nettement usé par l’existence et qui a tendance au suicide par moments bien que son indifférence est présente aussi bien à l’égard de la vie qu’à l’égard de la mort. Mélancolique, nostalgique… Akagi a quelque chose de baudelairien par son ennui qui le lasse de la vie, un ennui existentiel. Enfant intriguant, homme sans limites, Akagi incarne tout un panel d’improbabilité par sa nature instable et lunatique.

[1] : Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales http://www.cnrtl.fr/definition/ennui

2 réflexions sur “Analyse d’Akagi Shigeru (赤木しげる)

  1. Analyse impressionnante, autant par le travail abattu que par le soin apporté à développement de certains points qui caractérisent ce personnage unique.
    Votre argumentaire est très universitaire si je puis me permettre, toujours imagé avec pertinence et étayé par des perspectives cartésiennes, qui jamais n’échappent à la dialectique.
    Je ne dirai pas que votre analyse est fausse, encore moins insuffisamment approfondie, juste incomplète. La partie manque est peut-être la plus importante, si ce n’est la principale.
    Je vous propose la mienne qui est plus, comment dire, transcendantale mais aussi beaucoup moins travaillée et perfectionniste 😉 (il aurait fallu que j’eusse adopté votre perfectionnisme dans le cas présent)
    http://www.senscritique.com/serie/Akagi/critique/18502588
    D’une certaine manière, à nous deux, on obtient une analyse profonde et exhaustive d’un personnage hors du commun.

    Félicitations pour votre travail !
    (je vais en profiter pour lire les autres articles déjà rédigés)

  2. Je souhaitais juste ajouter que le mieux encore, et comme le dis si bien Akagi :
    « La raison est une règle de votre monde. C’est trop mauvais mais ça ne s’applique pas à moi.
    Faire confiance en l’irrationalité est l’essence du jeu. »
    Il en va de même pour ce personnage qui à travers une logique sans faille doit être perçu par un prisme spirituel.

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