Poll

Poll est un film allemand – oui, je sais, encore, mais ils sont si bons – passé cette année, en janvier sur Arte mais je l’ai vu tout récemment car mon père l’avait enregistré. C’est un film du réalisateur Chris Kraus, tourné en Estonie. (On lit d’ailleurs un peu partout que ce film a l’honneur d’être le plus onéreux jamais tourné là-bas) Ce film se déroule peu avant la Première Guerre Mondiale, à cette époque les principales tensions se font sentir et ce avant tout par les russes avec l’attentat de Sarajevo et les tensions avec les pays environnants…

Poll met en scène un écrivain anarchiste estonien traqué par l’armée russe, plus précisément les tsaristes. Son destin va se croiser avec celui d’une jeune fille de 14 ans, Oda, qui quitte Berlin pour venir passer quelques temps avec son père au domaine de Poll situé en Estonie. Elle s’y rend aussi pour enterrer sa mère récemment décédée et en profite pour rapporter à son père un nouveau-née siamois dans un bocal de formol. En effet son père possède un laboratoire dans le domaine, un musée inquiétant de crânes, de foetus, de cerveaux et de têtes qui servent pour ses études sur le corps humain et l’eugénisme. On décèle chez le père une certaine pathologie qui se confirme tout au long du film, lui-même n’étant pas sain d’esprit. Oda est une enfant singulière qui selon son père a des « idées masculines » : pensées sur la vanité de l’existence, intérêt pour « l’art » scientifique de son père… tout en restant dans une ignorance de la morale, plongée dans l’optique de la découverte et de la curiosité. Encore enfant, Oda ne sait ce qu’il se passe réellement : D’où viennent les corps qu’utilise son père et  que veulent dire ses propos axés sur la phrénologie ? Ce qu’il lui montre par exemple ce n’est pas un cerveau humain, c’est le cerveau d’un criminel, a supposé donc que le cerveau d’un criminel présente des qualités physiques qu’un homme sain n’a pas. Les hommes ne sont pas tous pareils et l’atteinte d’un idéal faisant concorder physique et moral est recherché par le père d’Oda. Grâce à Schnaps, le militant estonien qu’elle cache dans le grenier du laboratoire, elle va commencer à se rendre compte des insanités morales et des travaux que mène son père.

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C’est alors qu’Oda rencontre Schnaps – qui n’est d’ailleurs pas son vrai nom – alors qu’il est blessé et affamé. Elle va alors le nourrir et utiliser les enseignements de son père pour recoudre les plaies du militant. Oda décide de cacher ce survivant dans le grenier situé au dessus du laboratoire de son père. Cohabitation de deux mondes contrastés à travers une fine cloison : L’anarchiste caché chez l’aristocrate, habitant au dessus des corps de ses camarades morts usités pour une soi-disant science profitant de la guerre.
Au mépris du danger Oda cache Schnaps alors que des soldats russes sont logés dans le domaine de sa famille, c’est donc un danger quotidien que Schnaps et elle affrontent bien que Schnaps, pris d’une grande affection pour la jeune fille, projette de partir pour ne pas la mêler au scandale de la guerre.

Poll réuni les vices ainsi que les vertus de l’Homme. Les horreurs tout comme les faibles lueurs de la bonté et de l’amour dont peur faire preuve l’humanité se manifestent : Nous sommes entre la guerre et l’amour du genre humain. C’est un film rempli d’hybris : Démesure des soldats tsaristes, démesure des recherches scientifiques du père, démesure de l’anarchisme de Schnaps… Oda se retrouve ballotée dans un monde où elle n’est encore pas sûre d’elle, où s’enclenche une quête identitaire. Qui croire, qui être ?

Les plans filmiques sont admirables, visent parfois l’onirisme et la narration d’Oda qui nous entraîne dans son récit rétrospectif sonne comme une poésie de la mort. Mort poétique et omniprésente : Le film commence avec la mort et fini avec celle-ci, la mort dite latente, présente en chacun comme une graine. Film poétique qui fait donc écho àOda Schaefer, poétesse oubliée…  Le film est tiré du récit de son journal intime. Poésie également crépusculaire, le film présente de nombreuses scènes sous un ciel mourant. La nature même meurt, les animaux, le ciel, mort cosmologique, symbolique, psychologique. Et pourtant mort poétique. C’est un fabuleux contraste qu’offre le filmPoll, entre horreur et amitié.

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La bande son du film est composée par Annette Focks et est très agréable à l’écoute. C’est une OST qui se distingue vraiment et qui fait mouche dans le film. Des instruments très épurés, très candides et plein d’élan. La bande son est composé à 98% d’instruments à corde et de voix, c’est une bande son éminemment lyrique dont certaines compositions présentent des tonalités élégiaques, plaintives avec des voix qui s’élèvent sur fond d’instruments acoustiques: Guitare, viole de gambe, violoncelle, violon… Des instruments très vibrants et propre au dégagement d’un certain lyrisme. C’est une OST sans grande faute, qui est vraiment à écouter. On ne la trouve pas en entière sur YT, sauf le morceau de l’épilogue que voici :

C’est donc un film jonglant entre fiction et réalité retraçant une partie de la vie de la grand-tante du réalisateur (Oda et Chris Kraus sont en effet liés par le sang). Un film émouvant avec une grande qualité filmique, une réelle portée et beaucoup trop méconnu à mon goût. Poll est un excellent film que je recommande.

Le baron Rouge (Der Rote Baron)

Le Baron Rouge est un film réalisé par quelqu’un qui ne va sûrement pas vous évoquer grand chose, mais il est de mon devoir de poser son nom ici : Nikolai Müllerschön. Il est vrai qu’on entend assez peu parler du cinéma allemand aujourd’hui, ombragé par les grosses productions américaines. (Qui n’ombrage pas que les productions allemandes par ailleurs.)

Ce film fait honneur à un héros allemand de la Première Guerre Mondiale : Manfred Von Richthofen, plus largement connu sous le pseudonyme de Baron Rouge en raison de son triplan Fokker Dr.1 qu’il avait peint d’un rouge criard afin que, amis ou ennemis, celui-ci se fasse repérer.
Le Baron Rouge est donc un film retraçant une partie de la vie du plus célèbre des aviateurs, l’as des as de l’aviation, aussi bien admiré du côté des allemands que celui des français. Personnage de légende, nimbé d’une aura victorieuse, Manfred Von Richthofen a fait l’objet de nombreuses premières pages de journaux, d’un mythe héroïque et est aujourd’hui une figure emblématique de l’aviation. Un homme tant admiré que c’est sans hésitation que le gouvernement allemand utilisera son image à des fins propagandistes.

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Fokker Dr 1

Il se devait donc qu’une production cinématographique lui fut consacrée.
Personnellement, avant ce film, je n’avais jamais entendu parlé d’un certain « Baron » encore moins de couleur « Rouge ». Au nom de ce film je commençais donc à m’imaginer un personnage fabuleusement intriguant: Un baron dont la richesse était incroyable, surnommé « Baron Rouge » car suspecté d’assassiner chacune de ses femmes, bref. Voilà ce que ma bonne crédulité m’indiquait gentiment. (Oui, vous pouvez rire, lecteurs impitoyables.) Or il n’en fut rien. Et c’est donc dans une heureuse surprise que j’ai découvert ce film et surtout cet homme replacé dans une atmosphère épique et pleine de souffle, dans le ciel de 14-18.

Première Guerre Mondiale. Qu’est-ce que cela évoque ?
La boue, les tranchées, l’immobilité. Les soldats confinés dans des cercueils de terre. LeBaron Rouge s’intéresse à un autre aspect de la guerre, celui de l’aviation, des batailles aériennes. Un côté dont on ne parle pas tant que ça dans les bouquins d’Histoire. C’est-à-dire un côté complètement différent que cet affrontement franco-allemand. Détachés de ces affrontement terrestres statiques, les combats aériens étaient beaucoup plus libres. Le film commence avec légèreté, les aviateurs de la Première Guerre Mondiale ne vivent pas vraiment l’horreur de la guerre, ils font ce qu’ils aime le plus: Voler. Et il faut croire que cela leur convient tout à fait. C’est en tout cas ce qui transparaît du film lui-même.

Ce film fait passer beaucoup de « valeurs positives » quitte à s’éloigner du contexte historique. Les aviateurs sont fair-play, le respect et la fraternité sont présents au coeur même des combats. Ainsi dès le début du film les aviateurs allemands rendent hommage à un aviateur du camps adverse, un britannique, en risquant leur vie. C’est ce que montre le film or cela ne reflète pas tant que ça la réalité historique de l’aviation durant la Première Guerre Mondiale. Bien sûr, tout cela est enjolivé, les aviateurs ne vont pas si loin pour montrer une quelconque admiration envers un ennemi, c’est grossir le trait. Le Baron, lui, revêt tout ce qu’il y a de positif en un héros de guerre. C’est un film que j’adore mais d’un point de vue critique, il faut se rendre à l’évidence, il n’est pas si bon. Disons, qu’il n’y a pas un réel respect de l’Histoire. Il y a un sentiment de sincérité dans ce film mais pas de réel authenticité malheureusement.

Quelque chose de vraiment dommage également, c’est que le film soit énormément romancé. Le film se centre sur la présumée romance entre Manfred Von Richthofen et Käte Otersdorf, une infirmière qui avait pris soin de lui lorsqu’il était gravement blessé. On est même ici dans le domaine de la fiction car il n’y a aucun document qui parlerait d’une quelconque relation entre les deux. Il existe juste une photo les représentant et où les deux n’ont aucune proximité physique par ailleurs. Non seulement cette histoire trop romancé est déplaisante mais elle est de plus fictive. Enfin, je dis « déplaisante » mais ici c’est affaire de goût, personnellement je n’apprécie pas ces films un peu trop romancés. Mais quand il n’y a pas de superbe histoire d’amour le film a plus de chance de faire un flop d’après ce qu’une de mes professeurs m’avait dit, alors on peut tout de même percevoir une stratégie commerciale dans l’ajout de cette histoire qui ne présente pas un grand intérêt.

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« Kate… T’es bonne. »

Le réalisateur a même inclut un pilote juif. Avec une étoile de David sur son biplan il est présenté comme étant le grand ami de Richthofen, gros clin d’oeil à une volonté d’amitié judéo-allemande. Puis ajout de pathos, celui-ci meurt et Richthofen en est grandement affecté. (D’ailleurs je vous cache pas que c’est une scène qui m’a beaucoup touchée mais en tant que critique c’est un peu gros, ça fait un peu: « Tac je fais mourir le juif pour vous montrer à quel point ça nous touche nous les allemands. ») Ce film est truffé de petites allusions comme ça, le tout prônant une joyeuse camaraderie entre tous les pilotes du ciel de tous les horizons et de toutes les religions. L’horreur de la guerre transparaît donc vaguement, sauf lors de ces grands bombardements occasionnels quand Richthofen est au sol et que les combats terrestres sont montrés de plus près. Richthofen se place alors contre le gouvernement et les dirigeants devant ces horreurs et l’image de propagande que l’État veut véhiculer. Richthofen s’inscrit dans cette continuité héroïque quelque soit ses choix dans n’importe quel domaine.

On a tout de même cet esprit de compétitivité qui motivait Richthofen à devenir le prochain as des as qui est perceptible dès le début avec cette brève rivalité entre le Baron et Lanoe Hawker, prestigieux pilote de la R.F.C et arborant la Faucheuse sur le fuselage de son avion. Le grand nombre de trophées de guerre présents dans le garage de Richthofen montre son ambition à devenir le prochain as des as et une référence à un autre as allemand est d’ailleurs rapidement faite. On voit donc tout de même ce côté mordant et carnassier du Baron qui n’est pas qu’un enfant de choeur.

C’est donc un film qui met la figure du Baron Rouge en valeur, loyal, ambitieux, romantique, incarnant la réussite, la force… Une réelle figure héroïque. Le film donne plus la parole à la légende et non à l’Histoire. Faire perdurer cette image légendaire paraît être une valeur plus sûre pour le film et sa réussite.

Les combats aériens sont relativement bien faits, ils ont utilisés des vraies armatures d’avions si mes souvenirs sont bons, j’avais vu une partie du making-off il y a assez longtemps. Un certain archétype du pilote est développé : Aimant les cigarettes françaises, les cabarets, personnalisant leur avion, portant une belle écharpe… (Ce qui est assez drôle d’ailleurs c’est que certains pilotes ont une écharpe d’une épaisseur quasi-nulle et ce n’est pas avec ce genre de vêtement que l’on part en plein vol à bord d’un biplan. Ça caille là-haut. Enfin je dis ça… On remarquera surtout que tout le monde est emmitouflé dans une écharpe en laine sauf le grand Richthofen qui lui lutte contre les ouragans et ne peut tomber malade, sûrement parce que sa dulcinée est infirmière. Il peut donc se permettre de voler avec une écharpe aussi fine qu’un foulard.) En bref, une idéalisation des pilotes, leur donnant une allure et un charisme transcendant.

Le film a en tout cas le mérite de bénéficier d’une bande son absolument magnifique et je recommande à tout le monde d’aller écouter quelques musiques parce qu’elles sont, à mon humble avis, remarquables. Bien sûr c’est un film qui montre Richthofen comme étant un pur héros, on a donc bien sûr une bande son qui fait particulièrement bien ressortir cet aspect : On a à la fois l’excitation des combats aériens, l’ambition, l’émerveillement, la fierté et quelques musiques touchantes histoire quand même de provoquer le sentimental, de toucher et de marquer le spectateur un peu plus. (Notamment lors de la mort de l’ami de Richthofen, lorsque celui-ci serre le cadavre contre son corps, la musique donne une réel intensité aux lamentations du pilote.) L’instrument le plus utilisé pour ces musiques émouvantes est le violoncelle, choix que je ne peux qu’approuver car c’est pour moi un des instruments qui fait le plus vibrer l’âme humaine, un instrument langoureux, parfois sourd et dont les vibrations s’émanent dans le corps. Le violoncelle détient une fibre qui permet de toucher facilement, surtout quand celui-ci est joué lentement, on a l’impression que l’instrument pleure. Pour les pistes à violoncelle je recommande: The Red Baron (Sûrement la piste la plus emblématique du film, avec un thème qui revient comme un leitmotiv dans plusieurs des pistes) et Operation Why qui est joué durant la mort du pilote juif et qui est sûrement une de mes favorites. Puis il y a ces pistes qui font tout l’héroïsme d’un combat, toute sa splendeur, le tout dans un mariage tonitruant d’instruments. Mais on a vraiment un sentiment de grandeur et de risque en écoutant ces pistes et c’est très vivifiant, par exemple Airbattle 1 ou Red qui elle se montre quand même un peu plus sage au niveau des percussions. (Mais le moment où est jouée cette piste durant le film crée vraiment un effet de splendeur et reflète bien la fierté de Richthofen devant la couleur criarde de son triplan.) La musique a été composée par deux artistes: Dirk Reichardt et Stefan Hansen. Deux personnes absolument inconnues, en tout cas pour moi. (Puis en regardant leurs productions je me dis qu’elles le sont aussi pour tout le monde, enfin.)

D’un point de vue global ce n’est pas un film exceptionnel et cinématographiquement riche avec un intérêt historique concret. Mais c’est un film qui mérite d’être vu de par les émotions qu’il dégage, il y a une certaine aura. À voir donc mais à ne pas prendre comme l’enseignement d’une réalité historique. Je l’ai personnellement beaucoup aimé et c’est même ce film qui m’a lancée dans la passion de l’aviation et plus particulièrement la passion des biplans/triplans. C’est un film qu’il faut quand même savoir apprécier.

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