Le Tombeau de Romain Gary

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Romain Gary, dos à un miroir :

Cette photo m’a paru pertinente et parfaitement en phase avec le personne de Romain Gary, personne expressément imprégnée de duplicité.

Le Tombeau de Romain Gary est un livre écrit par Nancy Huston, écrivaine franco-canadienne assez prolifique et dont, je dois dire, je ne connaissais pas le nom. Je me suis donc attelée à la lecture de cette oeuvre qu’est Le Tombeau de Romain Gary.

Je dis « oeuvre » car le genre de cet écrit apparaît de façon obscure, une biographie oui mais une biographie emprunte de liberté, une « biographie subjective », expression qui semble contradictoire. C’est un petit ouvrage qui relate la vie de Romain Gary sous un aspect particulier, il ne s’agit pas d’un simple rapport sans saveur, quasi-scientifique et exact. Le Tombeau de Romain Gary est marqué d’une proximité déroutante car le procédé énonciatif est en soi surprenant: Nancy Huston parle à un mort comme si elle parlerait à un vivant et ce en le tutoyant.

En effet tout au long du livre l’écrivain tutoie Romain Gary, le fait revivre, fait face à une réincarnation du romancier. Le titre prend alors tout son sens, le tombeau c’est non seulement la construction architecturale destinée aux morts mais il désigne également des pièces musicales, plus précisément baroques, dédiées à un mort, en gros unhommage en bonne et due forme tout comme l’est le tombeau poétique, même concept appliqué à la littérature. (On retiendra le Tombeau de Théophile Gautier par exemple.)

C’est donc un hommage qui fait perdurer l’écrivain qui le fait revivre le temps de quelques pages comme si celui-ci était en face de nous. Romain Gary contre toute attente ne devient pas une marionnette sans âme que Nancy Huston agite vraisemblablement,  certes elle s’appuie sur des éléments autobiographiques mais elle leur donne un véritable souffle fait de vie et de passions humaines. Elle s’appuie également sur l’analyse des oeuvres de Gary ainsi que celles d’Émile Ajar, nous faisant entrevoir tout un panel de créations littéraires. On retrouve dans cet entretien un parcours initiatique, c’est le récit d’une recherche qui s’effectue petit à petit… Celle de lavraie nature de Romain Gary. Existe t-il un écrivain plus caméléon que celui-ci ? Identités multiples et pourtant bien distinctes: Émile Ajar et Romain Gary partagent le même corps mais Émile Ajar n’est pas Romain Gary. Paradoxe physique, rupture de l’esprit et schizophrénie latente : Tels sont les lots de Romain Gary, de l’écrivain aux identités multiples, de celui qui fut à la fois menteur et prophète. On voit donc dans le récit de Nancy Huston cette recherche pour littéralement débusquer l’être de Romain Gary, une recherche identitaire de l’homme.

Romain ? Non, son premier prénom comme elle l’explique a été Roman. Comme si ce prénom dessinait déjà une destinée fabuleuse, celle de l’écrivain qu’il fut. Il a également eu plusieurs noms et plusieurs pays… Tant qu’il en devint apatride. Qui est-il alors, ce Roman ? Celui qu’il laisse transparaître dans La Promesse de l’aube, son grand roman autobiographique ? Ou ne seraient-ce que des fabulations plus ou moins embellies ? Nancy Huston nous montre alors le Roman que personne ne connaît réellement, le vrai Roman.

Personnellement j’ai tout d’abord trouvé son tutoiement insolent, témoignant d’une proximité déplacée. Ça m’a fortement déplue. Puis je me suis habituée au gré des lectures. Ce tutoiement traduit un certain attachement même si Nancy Huston se montre parfois acerbe envers le destinataire de ses écrits:

« (…) Nous sommes donc rapprochés par ce dégoût de ce que tu donnais à voir et à entendre au monde, et c’est ce qui m’autorise à te dire tu.« 

Elle n’hésite pas non plus à clamer : « C’est faux. » concernant quelques déclarations personnelles de Romain Gary, fait qui m’a totalement chamboulée. À croire que Nancy Huston a été équipée d’un détecteur de mensonges qui traverse les temps. Je ne dis pas qu’elle n’a pas le droit de mettre les déclarations de Gary sous le prisme de la fausseté mais je trouve ça incroyablement culotté. Et c’est sûrement ce qui fait l’originalité de l’oeuvre. Car Romain Gary est une anguille qui file entre les doigts, il faut donc aller à contre-courant pour l’attraper et découvrir sa vraie nature. Même si il faut avouer que Nancy Huston n’y va pas avec le dos de la cuillère et qu’elle impose avant tout ses propres convictions. L’avis d’un expert de Romain Gary sur cette oeuvre m’intéresserait d’ailleurs beaucoup quant aux déclarations faites dans ce livre.

Nancy Huston montre l’être de feu qu’il était, homme incandescent qu’on ne peut toucher sans se brûler les doigts. Prométhée des temps modernes, Jésus imprégné de vices, imprégné de l’humanité. Un Jésus imparfait, humain.

« Il fallait que tu prennes sur toi les péchés de tous les hommes.« 

On retrouve également l’image d’un Romain Gary poursuivit par sa mère, Mina. La question « Comme ça, maman ? » apparaîtra comme un leitmotiv tout au long du livre comme l’existence de sa mère aura hanté Romain Gary jusqu’à la fin de sa vie. Cette phrase rythme ainsi de manière progressive les âges de l’écrivain dans l’oeuvre de Huston. Cette mère fabuleuse et fabulatrice sera toujours présente dans le coeur de son fils et fut d’ailleurs celle qui cru dès sa naissance à son talent.

« Roman pas mort! » scande le mot d’Émile Ajar à André Malraux pour le roman Gros-Câlin. Roman pas mort. Roman. Gros-câlin? Premier succès d’Émile Ajar qui remporta le prix Goncourt ? Ou Roman… Roman Kacew ? Le Juif russe, celui dont le succès se rétracte petit à petit, plus connu sous le nom de Romain Gary ? Roman n’est pas mort. La vie entière de Romain Gary est empli d’une duplicité que Nancy Huston pointe admirablement.

À travers l’analyse de plusieurs oeuvres de Romain Gary, de péripéties jonglant entre les livres et les femmes, Nancy Huston dresse plus qu’un portrait : C’est l’intimité même de Romain Gary que le lecteur pénètre plus ou moins directement, une intimité que personne n’a jamais vraiment percée, même dans son entourage. La preuve en étant Émile Ajar. Qui, en dehors de son neveu, était au courant de l’affaire qui bouleversa le prix Goncourt ?

Au final Romain Gary se suicide un 2 décembre, à 66 ans, deux fois l’âge du Christ. Hasard ou douce préméditation ? À voir. (Mais surtout à lire dans Le Tombeau de Romain Gary.)

« Je me suis bien amusé. Au revoir et merci. »

Vie et mort d’Émile Ajar (1981) +

Le Tombeau de Romain Gary est un petit livre qui se lit facilement même en ne connaissant rien de l’existence de Romain Gary. Je le conseille fortement car c’est la découverte de tout un homme sous un angle particulier, pas cet angle encyclopédique nourri de faits et de citations mais un angle nourri de l’être même de Romain Gary. Un livre qui transmet la fascination d’une femme (Nancy Huston) qui nous fait découvrir un homme (Romain Gary).