Ignis et Cignis

Je ne me doutais pas de ce que ces yeux avaient vu, de ce que ce corps avait fait.
Que ce corps s’était imbriqué dans un autre,
Que des souffles avaient été mutuellement échangés
Comme des larmes que l’on verse.
Des mouvances avaient été simultanées, d’une complémentarité
Assommante.

Une balade dans l’Eden envié pour consommer le fruit,
Pour cueillir la fleur aux senteurs aigre-douces d’été.
Mes yeux sont à moitié aveugles
Mais tout mon être perçoit un syncrétisme de feu, de chair et de soupirs revenus du passé.
Ma tête s’appesantit et les corps se lient.
Le cœur se nécrose, comme trempé dans l’humeur noire,
La mélasse amère : Grenade dont le sang s’enflamme à la moindre étincelle,
Étincelle d’étoile ou de briquet, de rêve ou de réalité…
Et explose.

Jetée là, sur un champ de cendre où naissent les épais nuages qui enfantent l’orage et la pluie,
Là où le Verbe ne fait plus écho, où le souffle vient mourir.
Désert peuplé de corps voilés d’un blanc grisonnant,
De spectres aussi volatiles que les souvenirs que je n’ai jamais vécu
Et que je ne vivrai jamais.

Je suis la fille des songes,
Celle qui meurt à chaque aube, à chaque naissance du jour
Et qui ne renaît que dans l’illusion, la carnavalesque et les arlequinades.
Dans la brume et les limbes les gerbes de blé dépérissent,
Tout comme mon âme
S’efface et se disperse, parcelle par parcelle, dans l’Entre-monde.
Comme une volute de fumée qui se répand dans l’air hivernal
Hors des chaumières, hors du foyer, hors de la chaleur :
Hors de l’humanité.
Faute d’avoir écouté Cassandre, j’arrive trop tard.
L’espoir s’estompe comme un mirage. On me l’a arraché,
C’est sans retour.

Mais par delà la chair je cherche l’âme, aussi palpable que l’air.
Coincée, là, sous la voute corporelle,
Je cherche l’invisible.