Le privé et le droit : La combinaison fatale.

Voilà un mois que je suis dans un institut privé dont je ne citerais pas le nom ici, en faculté de droit. A priori le système privé est à louer et détient tout les bénéfices : Un encadrement, de beaux locaux, des résultats satisfaisants…  Des attributs que les parents payent au prix fort. De l’extérieur, on en a cette rapide idée, un échange équivalent, peut-on dire. Or, voilà, à l’intérieur du système j’ai vu et j’ai compris. Autre que l’argent payé, il y a un autre prix qui brise cet équilibre. Et ce prix si fortement oublié c’est l’angoisse de l’élève. J’entends d’ici les détracteurs : “Oui, mais, cet angoisse est nécessaire pour que l’élève travaille et ait de bons résultats, à la fin il y aura des résultats satisfaisants, et il n’y a que ça qui compte dans notre histoire.

Seulement, les résultats ne priment pas sur l’humain, l’angoisse est terrible et déstabilisante, elle paralyse et rend malade. Elle pousse à bout, dégrade le corps et l’esprit. Ce système pour lequel on paie tant est déshumanisant et aliénant. C’est un système anti-pédagogique qui joue sur la peur de l’étudiant en lui donnant plus de devoirs et qui donne plus de droits à son professeur. Le professeur, cette bête noire qui sanctionne tout écart et qui libère l’angoisse et les peurs. Ce rôle est compréhensible au collège/lycée, où il a pour rôle absolu de veiller aux progrès de l’élève, un despotisme justifié. Mais, une fois plongé tête la première dans les études supérieures, l’indépendance et l’auto-gérance sont de mise. Au privé on paie donc pour un certain encadrement, nous sommes d’accord. Mais celui-ci ne doit pas consister en une perpétuelle vérification absolument terrifiante qui pousse à faire travailler les élèves non pas par plaisir mais par stress. J’ai personnellement eu une crise d’angoisse en CM, quelques semaines plus tard, une fille éclata également en sanglot en groupe de TD et sa voisine ne put que dire : “Elle fait une crise d’angoisse.

En entrant dans la sphère du privé on découvre une dure réalité : La valorisation du succès scolaire au profit du bien-être de l’élève. Je ne dis pas qu’on doit se livrer à un laxisme extrême, loin de là, mais qu’il faut reconsidérer le système du privé et les méthodes d’enseignement. Trop de travail tue le travail, à quoi bon donner des quantités titanesques de boulot? Ce n’est pas en emmagasinant pléthore de connaissances qu’elles seront acquises, nous ne sommes pas des machines, mais des humains. Il faut le temps de comprendre, tout en s’adaptant au rythme effréné, le privé n’arrange cela en rien en ajoutant plus d’exercices, de textes et je ne sais quoi d’autre. J’ai l’impression de remonter à l’époque médiévale et de recevoir un enseignement sophiste, apprendre à tout prix, le plus possible, puis faire des exercices à tout allure sans même prendre le temps de comprendre et d’analyser ses erreurs.

Et comment oublier… l’humiliation. Terrible moyen d’apprentissage. Cela dépend du professeur mais une fois à la faculté le système privé est propice à cette méthode.

Nous sommes un petit effectif ? Tant mieux ! Nous allons pouvoir interroger et réprimander un élève devant tous ! Ça lui apprendra à ne pas savoir.

C’est triste mais c’est exactement ce qui se passe à ma faculté, on prend deux chaises qu’on place à l’endroit le plus exposé de la salle, on désigne deux élèves. Ils s’assoient, l’oeil inquiet, les mains moites, sous une épée de Damoclès. Puis les questions tombent, le professeur sourit devant l’ignorance et rétorque le plus simplement du monde :

Allons ! C’est une question facile ! Voyons ! Vous ne savez pas ?

Facile pour celui qui sait. Oui. Monsieur est agrégé, tout lui semble facile, c’est son domaine et c’est gonflé d’orgueil qu’il se permet de pointer une facilité inexistante pour son jeune élève. Comment peut-on penser à comparer son savoir de maître au savoir de son élève ? C’est tout simplement un manque de compréhension de la part du professeur qui use à tort et à travers son pouvoir. L’élève avance ici à cause de l’angoisse d’être humilié. Ce matin encore un élève a eu le malheur de murmurer que les 15 démocraties populaires de l’URSS appartenaient à l’Union Européenne, le professeur s’est arrêté un quart d’heure sur son cas, le pointant du doigt, l’écrasant de tout son savoir pour lui montrer à quel point il avait été crédule. Avec des hyperboles absolument affreuses pour lui montrer que c’était un moins que rien, qu’il avait raté sa vie :

Tout le monde sait ça, allons, ne dites pas de bêtises, quelle horreur! Non, non, non… NON !

Silence. Puis il est revenu à la charge :

Comment avez vous obtenu votre bac ?

Déshonneur devant 150 personnes, chuchotements, rires à peine dissimulés pour certains… Et l’élève, planté là,  penaud. Un simple “Non, voyons !” aurait amplement suffit, mais là c’était de l’acharnement, le professeur était scandalisé, il réagissait un peu trop violemment. Il parlait avec tant de véhémence qu’à la fin de sa tirade il avait lâché un petit :

Non, mais, je vous dis tout ça enfin, voilà. C’est quelque chose à connaître, quoi…

Cet incident m’a réveillée, moi qui était à moitié assoupie sur mon cahier. C’est déjà très bien de fournir une participation active en amphithéâtre pas besoin de rabaisser autrui quand celui-ci dit une connerie. On s’en contrefout, on passe outre et voilà, c’est pas grave, on est tous là pour apprendre. Ça peut prêter à sourire mais ce n’est pas une raison pour y prendre au sérieux et faire comme si l’élève avait assassiné son voisin.Mais qu’en est t-il du plaisir d’apprendre ?

“Vous étudiez tous le droit pour vous élever, n’est-ce pas ? Le gain, l’argent, être influent dans la société ! Le pouvoir. N’est-ce pas ? Oui, vous ne seriez pas là, sinon.”

Travailler pour le gain, le pouvoir. Je me suis sentie incroyablement anti-nietzschéenne. J’en ai eu honte. Je travaille pour mon plaisir, et pour faire quelque chose qui me plaira, pas pour avoir le plus d’argent possible, non. Voilà comment le droit se présenta à moi. Comment on me le présenta.

Le droit, c’est un formidable instrument! Vous verrez ! On ne vous roulera plus !

Certes, certes, très cher monsieur, je ne me ferai plus avoir, j’aurais de l’argent, c’est bien ça, non ? C’est ce qui est synonyme de bonheur dans notre société, c’est ça ? Hein ?  Très bien. Je travaillerai donc dans le stress et l’angoisse, mais, à la fin je l’atteindrai ce bonheur. On me l’a promis. Avec tant de souffrance il ne peut y avoir que le bonheur en contrepartie, sinon, ça ne serait pas juste. Faire du droit serait une injustice profonde. L’infâme ironie ! Si vous aimez le droit, tant mieux, parfait, même ! Mais pour celui qui fait des études de droit par défaut on ne peut qu’éprouver une ineffable tristesse et le plaindre. Et moi je me plains. J’ai été assez idiote et crédule pour embrasser le droit. J’ai été aussi aveugle que la Justice et la balance ne s’est pas penchée du bon côté.

Vous vous posez des questions métaphysiques ? Pourquoi êtes vous ici ? Pourquoi le droit ? Ce n’est pas grave, vous partirez l’année prochaine !

Dixit un de mes professeurs. Et je ne compte pas laisser une année me filer sous le nez comme ça, une année c’est déjà trop. Et surtout elle serait trop insupportable, à tendance suicidaire. C’est une cage dorée à fuir.

J’ai donc changé de faculté, de bâtiment. Et c’est beaucoup mieux. Rien que le bâtiment est mieux, il est vieux. L’autre faculté n’est qu’une infrastructure géométrique, tellement neuve qu’elle en est stérile, avec des amphithéâtres sans fenêtres. Des amphithéâtres gris et de béton, de grands cônes tristes. Les salles, ce sont presque des chambres funéraires. Les pyramides égyptiennes c’est has been, le top ce sont les cônes universitaires. Maintenant c’est lettres modernes et un mois à rattraper. Mais ça reste tout de même angoissant et déprimant, tout mon entourage me regarde de haut. J’ai un énorme malaise, lettres c’est moins prestigieux que droit il faut croire. Puis dans notre société, c’est le pouvoir et l’argent qui priment après tout. Tristes influences qui ont influés mon entourage et qui lui même m’influent fortement. Tragique, tragique.